Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
600 déportés désespérés dans le crématoire. Les S.S. sortirent du bâtiment et le dernier ferma de l’extérieur la porte d’accès à la chambre à gaz. Ensuite tout alla très vite. À travers la porte on entendait des hommes qui toussaient de plus en plus fort, qui criaient et qui appelaient au secours. On ne pouvait comprendre ce qu’ils criaient tant étaient violents les coups qu’ils donnaient contre les portes, auxquels se mêlaient des gémissements et des pleurs. Puis le bruit s’affaiblit, les cris devinrent plus étouffés ; on n’entendit plus que quelques gémissements espacés, un râle ou un heurt assourdis. Ce fut enfin un silence impressionnant, après le spectacle de cette mise à mort collective. L ’Unterscharführer Teuer parut sur le toit du bâtiment, accompagné d’un assistant. Ils étaient tous les deux équipés de masques à gaz en bandoulière. Ils disposèrent sur le terre-plein des boîtes en fer-blanc de forme allongée, assez semblables à des boîtes de conserve, sur lesquelles étaient collées des étiquettes représentant une tête de mort, accompagnée de l’inscription : « Attention ! Poison mortel. » Un soupçon terrible se trouvait confirmé : on empoisonnait des hommes à l’aide de gaz toxiques dans le crématoire. Après le départ des S.S., nous fûmes chargés de rechercher l’argent et les objets de valeur, et de ranger les vêtements. Dans cette partie de la cour, faiblement éclairée par une lanterne, il faisait assez sombre. Aussi procédions-nous au classement des effets personnels d’une manière approximative. Que des hommes aient caché des objets divers dans leurs poches et dans leurs souliers prouvait qu’ils ne pensaient pas que leur dernière heure était arrivée. Il n’existe aucun indice qui nous permette de croire que certains savaient qu’ils allaient mourir.
On apporta quelques caisses dans la cour pour que nous puissions y répartir l’argent, les objets en or et les valeurs. Les habits, le linge et les souliers étaient classés à part. Nous rangions en lots séparés les couteaux, les lunettes, les bouteilles, les médicaments et jusqu’à des poupées d’enfant. Un tas important était uniquement constitué de livres de prière et de phylactères juifs. Fischl s’affairait d’une manière insolite sur ces vestiges. Il parvint à cacher sous sa veste une banderole de tefillim. Les objets personnels des détenus furent chargés dans un chariot et transportés jusqu’au local qui servait de vestiaire. Il était déjà tard dans la soirée lorsqu’on nous fit réintégrer notre cellule au bloc 11. On nous laissa la lumière. Mais cette fois, nous ne nous précipitâmes pas sur nos rations de pain ; nous retirions de nos chemises, de nos vestes ou de nos poches les objets provenant de « notre organisation ». Nous déposions le pain, le sucre, la saccharine, le tabac et d’autres objets devant notre chef d’équipe.
Fischl examina minutieusement toutes ces choses ; puis il les répartit en six lots égaux. Fischl paraissait moins affecté que nous par les événements de la journée. Adonaï l’avait exaucé, il possédait maintenant un livre de prière hébraïque et des phylactères qu’il avait subtilisés au cours de la soirée. Le lendemain matin, il se leva le premier, de bonne heure ; il enroula les tefillim autour de son bras gauche, au-dessus de la nuque jusqu’au sommet de la tête et il noua autour de son front la petite boîte noire des phylactères. Il se mit alors à prier en s’inclinant et en se balançant ; il marmonnait des mots incompréhensibles d’un air de profonde dévotion puis il récitait à haute voix des versets entiers sur un ton passionné. Fischl priait avec tant de ferveur que Dieu ne pouvait pas ne pas entendre sa voix, car cette supplique s’élevait d’un lieu où des hommes appartenant à la même race que lui, qui croyaient comme lui en l’Éternel et priaient le Seigneur tout-puissant étaient abattus comme du bétail.
Ce chef d’équipe, contraint d’aider les meurtriers S.S. à exterminer ses propres frères de race et ses coreligionnaires, cet homme énergique prêt à tout, n’avait pas abandonné la foi de ses pères. Il glorifiait Dieu, et il acceptait en même temps de se déshonorer en pactisant avec les bourreaux. Fischl m’apparaissait comme un être venu d’un autre monde, d’un monde que Dieu régissait d’une façon que je cherchais en
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