Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
bruit devait couvrir les cris des mourants, leurs coups contre la porte. En ce qui nous concernait, nous ne pouvions éviter de les entendre. Nous distinguions les sanglots, les appels au secours, les supplications, les martèlements violents contre la porte. Aumeier, Grabner et Hössler surveillaient sur leur montre-bracelet la durée du temps écoulé avant le retour au silence. Cela paraissait beaucoup les amuser, et visiblement satisfaits de cette victoire sans combat, ils risquèrent des plaisanteries ignobles : « L’eau de la douche doit être bouillante pour qu’ils crient si fort. »
Le ronflement des moteurs des camions s’éteignit avec les gémissements et les derniers râles des mourants. Une nouvelle application du « traitement spécial » venait de s’achever.
Pour le reste du camp, la vie avait repris son cours normal. Les corvées de soupe apportaient les cuves de thé dans les blocs, les doyens de bloc préparaient l’appel du matin, les chefs d’équipe répartissaient les détenus dans les groupes de travail et la musique entraînante de l’orchestre du camp accompagnait la sortie des équipes. Aumeier et son escorte avaient quitté la terrasse par la rampe donnant dans la cour du crématoire. Il se tourna avec satisfaction et fierté vers Quackernack et lui dit, du ton d’un maître s’adressant à son élève : « Vous avez compris comment il faut opérer ? »
Cette méthode considérée comme très astucieuse pour la suppression en masse des hommes, sans que cela causât trop de remous, fut très vite appliquée à une grande échelle. C’est de cette façon que dès la fin mai 1942 des convois de déportés disparaissaient les uns après les autres dans les fours crématoires d’Auschwitz. Il est vrai que la proximité immédiate du camp de concentration faisait courir à l’« affaire secrète du Reich » le risque de perdre tôt ou tard son caractère confidentiel. C’est pourquoi, on conduisait les colonnes de déportés au crématoire très tôt le matin, lorsque le camp était encore endormi, ou le soir, après l’appel. Les barrières des blocs étaient alors fermées et nul ne pouvait quitter le cantonnement sans risquer d’être abattu. Quant à nous, qui étions affectés aux préparatifs de l’opération de destruction des juifs et à celle qui consistait à faire disparaître toutes les traces du crime, nous étions répartis en deux groupes qui n’avaient aucun contact entre eux.
Lorsque la cour fut entièrement nettoyée, les détenus de la deuxième équipe, affectés à la chauffe des crématoires, prirent leur service. À leur arrivée, les corps des gazés qui gisaient nus dans la chambre à gaz, que l’on venait d’aérer, semblaient être tombés du ciel. Plus tard les membres des deux équipes furent groupés en une seule, dite « commando du crématoire ». Son commandement fut confié au détenu politique polonais Mietek Morawa.
Lorsque aucun convoi n’était attendu, nous quittions nos cellules du bloc 11 pour nous joindre à l’équipe des chauffeurs. Le chef d’équipe était installé avec ses deux « collègues » polonais dans un « bloc libre », tandis que les trois chauffeurs juifs logeaient dans le bloc 11.
Nous nous intégrions dans une colonne formée en rangs et nous attendions l’ordre de marche. Nous avions alors l’occasion de nous entretenir avec d’autres détenus et d’établir des contacts avec ceux du « bloc libre ». Cela nous réconfortait moralement. Avant de partir pour le travail, les chefs d’équipe s’affairaient autour de leur groupe, rectifiant les alignements et dénombrant soigneusement leurs hommes afin que le compte de leurs « ouailles » correspondît à celui du S.S. chef du service des corvées. L’orchestre du camp commençait à jouer et les équipes se mettaient en marche aux sons de la musique militaire, caporal en tête, après que celui-ci eut rendu compte au chef du service des corvées de la mission de son groupe et du nombre de détenus de la colonne. Les commandos défilaient les uns derrière les autres, en formation rangée, et sortaient par la porte principale du camp ; c’était une véritable armée d’esclaves en uniforme rayé. Leur travail consistait d’ailleurs à les faire participer directement ou indirectement à leur propre destruction.
Les détenus du commando du « parc des matériels de transport » étaient ainsi amenés à réparer et à
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