Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
C’était un homme de grande taille, de belle prestance, aux cheveux blonds tirant sur le roux, doté d’un large buste et de jambes robustes et musclées. Il avait l’air d’un jeune homme sain, sportif. Il était très irascible. Pour le moindre motif, il se laissait aller à des accès de rage violente et il était alors prudent de prendre le large.
Un abîme nous séparait de lui. Il semblait absolument incapable d’avoir un comportement simplement humain à notre égard. Nous ne connaissions de lui que la raideur de ses ordres, ses injures, ses menaces sauvages, par lesquelles il nous contraignait au travail en nous matraquant. À l’égard de ses supérieurs, il se montrait, en revanche, obséquieux et soumis. Je me suis souvent demandé pourquoi ce jeune homme, à peine plus âgé que moi, était aussi brutal et cruel, pourquoi il nourrissait une haine aussi profonde à l’égard des juifs. Connaissait-il la race juive avant son affectation à Auschwitz ? Il avait probablement été conditionné par la doctrine nazie qui rendait les juifs responsables de tous les malheurs du peuple allemand. Je ne comprenais pas comment un jeune homme normalement doué, civilisé, qui n’avait aucun passé judiciaire, pouvait se livrer à des actes aussi abominables, soi-disant par devoir envers sa patrie, et cela sans se rendre compte que les détenteurs pervertis du pouvoir se servaient de lui comme d’un instrument.
Dans la cour du crématoire, toute trace de la séance d’atrocités de la veille avait disparu. Les taches de sang sur le pavé de la cour avaient été enlevées, le sol était reluisant de propreté. Derrière le haut mur de béton donnant sur l’extérieur, dans la direction du parc des camions de réserve, on apercevait un grand arbre aux branches robustes, qui commençait à verdir. Il assistait de loin à la mise en application de ce que Himmler avait baptisé « Action secrète du Reich allemand ». Des S.S. firent irruption dans la cour, la trique à la main. Ils étaient suivis des éléments vedettes du camp, Aumeier, Grabner et l’Untersturmführer Hössler accompagnés d’un chef S. S que je ne connaissais pas et qui portait sur sa manche le caducée. Je ne comprenais pas quel pouvait être le rôle d’un médecin dans le nouveau massacre qui se préparait à coup sûr.
Nous étions depuis peu de temps dans la cour lorsqu’une foule de gens déboucha de la grande porte en bois. Ils portaient à hauteur de la poitrine l’étoile jaune à six branches. La cour se remplit peu à peu. C’était un convoi de déportés juifs de nationalité polonaise. La plupart étaient d’un âge moyen ; il y avait aussi des femmes et quelques enfants. Tous étaient essoufflés, les femmes paraissaient complètement épuisées ; beaucoup arrivaient le dos fléchi, trottinant en file sous la porte du camp. Elles n’avaient pu suivre le gros de la troupe des déportés dans leur marche rapide. Lorsque les retardataires furent arrivées dans la cour, la porte en bois fut refermée. Des sbires en uniforme apparurent devant cette masse de centaines de gens fourbus et affolés. On leur donna l’ordre, en vociférant et sous la menace des matraques, de se déshabiller intégralement le plus vite possible. Les nouveaux arrivants étaient abasourdis. Ils ne comprenaient pas pourquoi les hommes et les femmes devaient se dévêtir dans la cour les uns devant les autres. Les S.S. ne leur laissèrent pas le temps de réfléchir, ils ne cessaient de crier : « Allez ! vite, déshabillez-vous ! Vite, plus vite ! »
En ce qui me concerne, je pouvais comprendre la raison de cet ordre. Il était plus simple d’envoyer cette masse de gens, nus, dans la chambre à gaz ; on évitait ainsi, après l’opération de gazage, l’opération de déshabillage des morts, toujours trop longue. En outre, les vivants ne manqueraient pas de prendre soin de leurs vêtements en les ôtant eux-mêmes puisqu’ils pensaient devoir les récupérer par la suite. Il me parut évident que cette méthode était pratiquée ici pour la première fois, à titre d’essai.
Cette séance ne se déroula cependant pas sans difficultés.
La méfiance et la peur se lisaient sur les visages des déportés. Ils n’avaient aucune idée de ce qui les attendait, mais ils sentaient tout le caractère inquiétant et dangereux de leur situation. Sous la pression des menaces réitérées, la plupart des hommes commencèrent à
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