Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
de veau académique, à partir de maintenant je donnerai l’ordre d’aller au travail si l’on a moins de 40° de fièvre. Tu n’es pas ici à la Sorbonne, imbécile, mais à Birkenau, au bloc 13. Si tu n’as pas pigé, tu iras toi aussi traîner les cadavres au crématoire ! »
Quelques jours plus tard, l’équipe Lempke, dont je faisais partie, fut envoyée dans le chantier de travail du crématoire 3. En m’approchant, je sentis une odeur forte et désagréable de corne brûlée. Ajzyk Kalniak, un petit détenu râblé, me conduisit dans une pièce obscure. Il paraissait intrigué, comme moi-même, par ce qui s’y passait. Le travail effectué dans ce local, dénommé « salle de séchage des cheveux », était en effet unique en son genre. Des chevelures de femmes, de toutes les nuances, et de toutes les tailles, étaient étalées sur une surface d’environ 150 mètres carrés à même le sol. Elles provenaient des femmes gazées. Des cordes, sur lesquelles on faisait sécher les cheveux comme du linge après les avoir nettoyés dans de l’eau ammoniaquée, étaient tendues entre les murs. Des détenus venaient ensuite carder les chevelures sur de grandes tables avec des peignes métalliques et on les emballait, ainsi préparées, dans des sacs en papier. Le soin et la méthode utilisés par les S.S. pour les contrôles de dessication totale sur des échantillons laissaient supposer que ces chevelures constituaient une matière première importante pour l’industrie de guerre nazie. On sut plus tard que les cheveux de femme servaient à la fabrication de fils industriels ou de couture pour le tissage des socquettes de crin des équipages de sous-marins ou à la préparation de pièces d’équipement de feutre pour la Reichsbahn. Quelques rares personnes savaient que pour le traitement de ces matières premières, quinze juifs travaillaient sans arrêt au crématoire. La plupart d’entre eux étaient des détenus que le chef d’équipe Kaminski avait affectés là pour les éloigner de l’enfer des anéantissements.
Une autre organisation unique en son genre dans l’histoire de l’humanité, fut également créée fin 1943 au crématoire III. Il s’agissait d’une fonderie très spéciale d’or. Deux dentistes juifs, Franz Feldmann, de Trentschin Teplits, et Paul Katz, de Paris, avaient été transférés du centre dentaire d’Auschwitz au four crématoire de Birkenau. Leur atelier était situé au rez-de-chaussée du crématoire III. Une pancarte accrochée à la porte de leur local portait une inscription en grosses lettres, interdisant formellement l’entrée aux détenus et même aux S.S. C’est derrière cette porte qu’étaient ouvertes des caisses en bois pleines de dentiers en or ayant appartenu à de malheureuses victimes récemment assassinées, dont les prothèses avaient été arrachées des mâchoires avant leur incinération. On débarrassait les dents en or des fragments de chair et d’os qui pouvaient encore y adhérer, en les trempant dans un bain d’acide chlorhydrique. Le métal était fondu dans des moules en graphite et formé en barres d’un poids déterminé. Tous les quinze jours, une ambulance venait prendre livraison de l’or récupéré. Cinq à dix kilos étaient ainsi fondus chaque jour pour le Trésor de la Reichsbank.
Le calme relatif qui régnait au début à Birkenau ne dura pas longtemps. Peu après mon arrivée, des dizaines de milliers de juifs de France, de Grèce, des Pays-Bas, du ghetto de Bialystok et des camps de Poméranie, de Kola, de Zawiercie et de Posen disparurent dans les fours des crématoires. La liquidation des détenus des ghettos de Sosnovitz et de Bedzin, qui débuta en août 1943, fut particulièrement brutale. Des milliers de personnes furent alors exterminées. Un matin, nous aperçûmes des centaines de S.S. qui se tenaient armés sur le bord de la route. Le calme qui régnait dans le secteur était troublé par les ordres gutturaux des chefs de poste et par les aboiements des chiens. Cette agitation ne pouvait être que le prélude à un nouveau massacre. Les cris des S.S. devinrent des hurlements, puis ce furent bientôt des gémissements et des plaintes. Une foule de gens pourchassés comme des bêtes courait sur la route conduisant aux fours crématoires. Les S.S. frappaient de tous les côtés, à coups redoublés de matraque. « Allez, vite ! Plus vite ! » ordonnaient-ils sans cesse. Traqués et haletants,
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