Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
été frappés ou torturés. Lorsque les S.S. leur donnaient l’ordre de retirer leurs vêtements, ils étaient aussitôt fixés sur leur sort. Des signes de défaillance et d’angoisse, mais aussi de défi et de désespoir se lisaient sur leur visage lorsque l’on entendait, du local voisin des exécutions, l’écho assourdi des coups de feu accompagné du bruit mat de la chute des victimes. Soldats aguerris, partisans ou civils, rares étaient ceux qui parvenaient à maîtriser leurs appréhensions au dernier moment. Certains se serraient la main et s’embrassaient avant de se séparer, d’autres se signaient et priaient. Abandonnés du monde, dans une situation sans issue, seul Dieu leur apparaissait comme un dernier recours.
Les victimes étaient conduites par groupes de cinq dans le local des exécutions ; elles étaient poussées contre le mur, immobilisées, et abattues d’un coup de fusil dans la nuque. Sous l’impact de la balle, le sang giclait par saccades. Après l’enlèvement des corps, le sol en ciment était rouge de sang. Avant d’introduire les victimes suivantes, on le lavait à grande eau afin d’en effacer toute trace.
Le contact permanent avec ces atrocités, l’impuissance dans laquelle nous étions de nous y opposer, ces meurtres mille fois répétés sous nos yeux, nous incitaient à échafauder tous les plans d’évasion possibles. Il nous semblait évident que nous devions d’abord obtenir des complicités. À cet égard, le concours des détenus destinés à la chambre à gaz nous paraissait indispensable. Ils n’avaient plus rien à perdre, et dans de telles circonstances pouvaient être résolus à faire n’importe quoi, à défendre leur vie jusqu’à leur dernier souffle, avec l’énergie du désespoir. Il fallait donc tenter notre chance à l’occasion de l’arrivée d’un convoi de nuit de juifs polonais, car ces malheureux accoutumés depuis longtemps à la vie dans les ghettos savaient où devinaient immédiatement le sort qui leur était réservé. De plus, la pratique de leur langue maternelle et leur connaissance de la région nous seraient peut-être une aide précieuse pour notre fuite dans les montagnes proches. Mais notre expérience de la vie concentrationnaire nous avait convaincus de l’inutilité de mettre des gens non informés des méthodes d’extermination des nazis, et non préparés aux pires éventualités, en face de la perspective d’un anéantissement collectif. Ainsi, au cours de l’été 1943, à l’arrivée d’un convoi de Bialystok, un détenu du commando spécial reconnut la femme d’un ami. Dans la salle de déshabillage du crématoire, il lui déclara sans ménagement qu’elle serait gazée comme tous les autres et ensuite incinérée. Lorsque cette femme eut assimilé ce qu’il disait, elle se mit à trembler, s’arracha les cheveux, se frappa la poitrine et se lacéra le visage avec ses ongles. La figure ensanglantée, l’écume à la bouche, elle courut, à moitié dévêtue, d’une femme à l’autre, répétant d’une voix hachée par l’émotion ce qu’elle venait d’apprendre. Mais ce qu’elle annonçait était si horrible que les autres détenues, incrédules, se détournèrent d’elle. Alors, elle se précipita de l’autre côté, là où les hommes étaient en train de se déshabiller, et, fendant leurs rangs, elle les apostropha d’une voix stridente : « Écoutez, vous tous ! Ils veulent nous gazer et nous incinérer, vous entendez ? Nous allons tous être gazés et brûlés dans des fours ! »
La prenant pour une malade mentale, les hommes réagirent comme leurs épouses et continuèrent à se dévêtir sans lui prêter attention. Cependant, à la longue, ses vociférations finirent par les troubler, leur impression d’insécurité étant aggravée par leur nudité corporelle. Pendant ce temps les chefs S.S. Schwarzhuber et Hössler ainsi que le docteur Rhode, médecin délégué des S.S., se tenaient à côté de la porte du vestiaire. Schwarzhuber était chargé de la surveillance générale des opérations ; Hössler avait pour mission de calmer éventuellement les condamnés par des paroles rassurantes ; quant au docteur Rhode, il devait jeter un regard dans la chambre à gaz par le vasistas pour s’assurer de l’extinction de tout signe de vie. À ce moment seulement on pouvait ouvrir la porte de la chambre à gaz.
Les trois chefs nazis qui parlaient entre eux avec animation
Weitere Kostenlose Bücher