Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
nombre d’entre eux ne pouvaient suivre, surtout les plus âgés, qui restaient à l’arrière. C’était la course à la vie ou à la mort. Les malheureux laissaient tomber tout ce qui les encombrait, même le dernier morceau de pain. Les mères qui tiraient leur enfant par la main pressaient leur mari de soutenir l’allure à tout prix, car elles prévoyaient ce qui les attendait s’ils avaient le malheur de ne pas suivre les autres ; celui qui tombait était condamné à ne jamais se relever.
2 000 hommes environ furent rassemblés dans la cour du crématoire. Beaucoup pensèrent alors qu’ils avaient accompli le plus dur. Après avoir repris leur souffle, ils se mirent à la recherche de leurs enfants. Mais il ne leur fallut pas longtemps pour prendre conscience de leur situation. Le traitement qu’ils venaient de subir venait de leur ôter leurs dernières illusions. Ils apercevaient devant eux le bâtiment de briques rouges avec les deux puissantes cheminées qui laissaient échapper des volutes de fumée. Ils étaient entourés d’une horde de S.S. qui étaient déterminés à réprimer brutalement la moindre résistance. Tous étaient saisis d’angoisse et de perplexité. Même les enfants se tenaient tranquilles sans poser de questions à leurs parents. Les hommes parlaient à peine entre eux, la peur et le désespoir leur nouaient la gorge. Les enfants se cramponnaient convulsivement à leur mère, tous regardaient autour d’eux d’un air désemparé et interrogateur.
L ’Oberscharführer Voss s’avança alors devant la foule, accompagné de ses adjoints, et il prit la parole : « Juifs, écoutez-moi bien. Dans votre intérêt, je dis bien, dans votre propre intérêt, je vous demande de vous déshabiller aussi vite que possible et de déposer vos affaires devant vous, sur le sol. »
Le ton inhabituellement lapidaire de l’allocution montrait que les S.S. se doutaient bien que les prisonniers savaient ce qui les attendait. On ne s’embarrassait plus maintenant d’aucun ménagement, il n’était plus question de désinfection, de douches collectives ; c’en était fini de la mise en scène. Ils se contentaient de donner des ordres nets et précis.
Un petit groupe de chefs S.S. observait avec attention les effets de la nouvelle méthode ; une procédure sommaire était-elle praticable ? Même L’Obersturmführer Hössler, que nous avions baptisé pour ses attitudes théâtrales et hypocrites « Moïse, le menteur », se tenait à l’écart et ne jouait plus son rôle habituel. Les déportés avaient compris que l’ordre de déshabillage signifiait leur condamnation. Ils semblaient résignés. Ils commencèrent à retirer lentement leurs vêtements, puis ils déshabillèrent leurs enfants. À chaque pièce de leurs vêtements qui tombait par terre, on avait l’impression qu’ils se dépouillaient d’une partie de leur triste existence, car la plupart n’avaient connu que la misère et les privations. Certains retenaient leurs larmes pour ne pas augmenter l’angoisse de leurs enfants ou provoquer leurs questions. Ceux-ci regardaient tristement autour d’eux, cherchant à comprendre. Bientôt tout le monde fut dévêtu. Les hommes et les femmes s’embrassaient en caressant leurs enfants et en essayant de se donner mutuellement du courage. Abandonnés par un monde qui ne voulait plus les connaître et qui les rejetait, ils passaient les dernières minutes qui leur restaient à vivre à faire un retour sur leur passé, si désolé fût-il. Soudain, une voix s’éleva dans la foule. Un petit vieillard émacié avait commencé la prière du viddouï
. Il se penchait en avant, puis il se redressait en levant la tête et les bras vers le ciel martelait chacune de ses supplications passionnées au Tout-Puissant en se frappant la poitrine de son poing. Les paroles hébraïques résonnaient dans la cour : aschamu (nous avons péché), bagdanu (nous avons été infidèles), gazalnu (nous avons fait du tort à notre prochain), di bardi dofi (nous avons calomnié), hevejnu (nous avons menti), vehischarnu (nous avons enfreint la loi), sadnu (nous avons fait le mal sciemment), chamasnu (nous avons opprimé notre prochain). « Mon Dieu, avant de naître, je ne représentais rien, et maintenant que je suis créé, je suis comme si je n’existais pas. Je suis poussière dans ma vie comme je serai poussière dans la mort. Je te glorifie, Seigneur, pour l’éternité, Dieu éternel.
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