Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
avait l’air sûr de lui, décidé et il lui fallut peu de temps pour se faire une place à part dans le commando spécial de Birkenau. Kaminski savait séduire. Son timbre de voix légèrement rauque savait convaincre. Dans les situations critiques, il pouvait mieux que personne calmer les hommes et leur faire recouvrer leur sang-froid. Son comportement ferme et mesuré lui avait gagné la confiance des S.S.
En quittant la salle des cadavres, je franchis avec Kaminski et Juki une porte en bois massif, bardée de fer, qui ouvrait sur un local entièrement plongé dans le noir. En donnant la lumière, nous vîmes sur le mur une rangée d’ampoules entourées d’un treillage métallique. Un vaste espace en longueur, d’environ 250 mètres carrés, s’étendait devant nous. La salle était entièrement blanchie à la chaux. Des colonnes en béton se succédaient le long des deux murs latéraux ; elles étaient creuses et servaient à déverser les cristaux de cyclon B que l’on jetait par des ouvertures aménagées dans leur partie supérieure et qui communiquaient avec la chambre à gaz par des colonnes métalliques. Celles-ci étaient perforées à intervalles réguliers et un serpentin était disposé à l’intérieur de la colonne pour obtenir une répartition aussi régulière que possible des cristaux.
Des douches en tôle noire étaient également montées sur le plafond, en trompe-l’œil, afin de donner le change aux détenus. Un dispositif d’aération était aménagé dans l’épaisseur d’un mur. On le mettait en marche aussitôt après l’opération de gazage afin de pouvoir enlever les corps aussi rapidement que possible. Dans un angle de la chambre à gaz, sur la droite en entrant, se trouvait le vestiaire ; sa surface, qui dépassait 300 mètres carrés, pouvait recevoir plus de 1 000 personnes à la fois. On y accédait de la cour en descendant un large escalier en béton. À l’entrée du sous-sol, on pouvait lire en plusieurs langues, sur un grand écriteau, « Local de douche et de désinfection ». Le plafond du vestiaire était soutenu par des colonnes en béton sur lesquelles étaient fixés divers panneaux destinés à faire croire aux prisonniers que l’opération de désinfection était indispensable et particulièrement importante pour eux. On pouvait lire par exemple : « Le pou propage la mort », « Soyez propres pour être libres ». Les porte-manteaux étaient tous pourvus de numéros. Des bancs en bois étaient disposés sur les côtés. D’autres pancartes recommandaient en plusieurs langues aux arrivants de suspendre leurs effets, avec leurs chaussures nouées ensemble, et de noter leur numéro afin de pouvoir retrouver facilement leurs affaires personnelles après la douche. L’itinéraire depuis la salle de déshabillage jusqu’à la chambre à gaz était jalonné de flèches indiquant la direction à suivre.
L’agencement de ces locaux souterrains était camouflé de manière à donner aux déportés l’illusion qu’ils se trouvaient dans un vaste et banal vestiaire. Ce que j’avais vécu jusqu’à présent n’était rien à côté de ce que je voyais ici. Le moindre détail était calculé de telle sorte que les futures victimes soupçonneuses et méfiantes fussent rassurées et franchissent docilement le seuil de l’abattoir.
Ici, le nombre des fours crématoires était huit fois plus élevé qu’à Auschwitz. On pouvait réduire en cendres 10 000 cadavres en vingt-quatre heures.
Une ambiance étrange régnait dans le bloc 13 auquel j’étais affecté. Nous étions strictement séparés des autres cantonnements, ce qui laissait le champ libre à la corruption. Chaque jour, des détenus venaient nous proposer des cigarettes et de l’alcool contre des brillants, des dollars, des montres, des dentiers en or et autres objets de valeur recueillis après les opérations de gazage.
Ceux qui se livraient à ces trocs faisaient en général partie des équipes de travail occupées sur des chantiers à l’extérieur du camp, ce qui leur permettait d’entrer en contact avec des civils qui profitaient de la situation. Ainsi se pratiquait un trafic illégal auquel participaient tous ceux qui n’étaient pas encore détachés des biens matériels. Les principaux bénéficiaires de ce commerce clandestin étaient surtout les membres des services des chambrées et le personnel du bloc. Il va de soi qu’ils monnayaient au prix fort le risque
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