Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
gens, qui ne se doutaient de rien, attendaient en silence. Il commença alors son discours : « Je vous souhaite à tous la bienvenue au nom de l’administration du camp. Vous êtes ici dans un camp de travail et non dans un sanatorium. À l’exemple de nos soldats qui combattent pour la victoire du Troisième Reich, vous devez travailler pour l’avènement de la nouvelle Europe. Il vous appartient de mener à bien cette tâche, et nous en donnerons les moyens à chacun de vous. Nous veillerons à votre santé, nous vous confierons un travail bien rémunéré et à la fin de la guerre, nous tiendrons compte des services que vous aurez rendus. Maintenant, vous allez vous déshabiller, vous suspendrez vos vêtements aux portemanteaux sans oublier d’en relever le numéro. Après les douches, vous recevrez une portion de soupe avec du café ou du thé. Vous n’oublierez pas non plus de mettre à notre disposition toutes vos références scolaires, vos diplômes, certificats d’études et autres documents afin que nous puissions fixer à chacun un travail en rapport avec ses capacités et ses aptitudes. Encore une recommandation : que les diabétiques qui ne doivent pas consommer de sucre se fassent connaître après le bain au personnel du service intéressé. »
Le ton grave et sérieux de l’allocution de Hössler, qui était textuellement traduite en grec par un interprète S.S., impressionna favorablement les arrivants. Une lueur d’espoir apparut sur bien des visages. D’autres cependant demeuraient perplexes, en songeant aux conditions particulièrement pénibles de leur voyage. Pourquoi donc les avait-on laissés dépérir de soif au cours de leur transfert, comment avait-on pu laisser mourir tant de gens dans le convoi si l’on avait vraiment besoin d’eux d’une manière si pressante ?
Ces contradictions ne laissèrent pas de déconcerter nombre d’entre eux. Tous cependant étaient bien loin d’imaginer que, quelques instants plus tard, ils seraient irrémédiablement transformés en un tas de cendres.
Lorsque Hössler eut terminé son allocution, les hommes commencèrent donc à se déshabiller dans le calme, aucun d’eux ne pouvant soupçonner l’imminence du péril. Leurs habits retirés, les hommes se placèrent d’un côté de la salle, les femmes et les enfants de l’autre. Tourmentés par la faim et la soif et croyant qu’on leur donnerait à manger et à boire après la douche, comme on le leur avait promis, ils se bousculèrent même vers la salle d’eau, chacun voulant passer le premier. Ils pénétrèrent ainsi, sans aucune méfiance, dans les trois chambres à gaz du crématoire V, la plupart tenant encore à la main une serviette et un morceau de savon.
Il ne restait plus à deux S.S. qu’à prélever alors dans la voiture d’accompagnement de la Croix-Rouge qui avait suivi le convoi les produits dits « de désinfection » – en fait, quelques boîtes en fer-blanc remplies des sinistres cristaux de cyclon B – et à déverser leur contenu dans les ouvertures aménagées à cet effet. Ils n’avaient besoin pour cette opération que d’un marteau, d’un ouvre-boîte et d’un masque à gaz, avec en plus la conviction intime d’accomplir un acte utile pour leur pays !…
À la fin du mois d’octobre 1943, je partis un soir avec un commando d’environ 100 détenus pour travailler avec l’équipe de nuit au crématoire II. Kaminski recherchait pour ce commando quelques détenus débrouillards, afin d’organiser un trafic de valeurs aussi important que possible. Ce trafic reposait sur la vente de matériaux de démolition. Nous débitions des épaves d’avions ou du matériel de guerre endommagé qui s’échangeait contre de l’or, des dollars ou des brillants. Ils nous permettraient de nous procurer des armes, de financer des opérations d’évasion et de soudoyer des S.S.
Comment informer le monde des atrocités qui se commettaient ici restait notre préoccupation majeure. Pour y parvenir, il nous semblait indispensable de faciliter l’évasion d’un détenu, témoin oculaire quotidien des crimes effroyables qui se perpétraient à Auschwitz. Il fallait pour cela acheter la complicité des S.S., dont la plupart résistaient mal à l’appât du gain.
Ce soir-là, quand j’arrivai en service de nuit, la cour du crématoire II était déserte. Elle était sommairement éclairée par quelques lampes à arc. On entendait au loin des voix
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