Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
vous vous trouvez actuellement est celui de votre dernier séjour dans le territoire du III e Reich. Nous vous avons amenés jusqu’ici car les autorités helvétiques ont exigé qu’il soit procédé à votre désinfection avant de franchir la frontière suisse. » Il prit alors un air important et poursuivit : « Une grande installation de bains est aménagée dans ce bâtiment, dit-il en tendant le bras dans la direction du crématoire ; nous allons vous y conduire. J’ajoute qu’après le bain, vous devrez tenir vos documents de voyage à notre disposition pour que nous puissions vous remettre l’attestation certifiant que vous avez subi cette désinfection. Je précise que les autorités helvétiques exigent que nul ne passe la frontière suisse sans être muni de cette pièce. Un train spécial a été formé en gare pour vous transporter jusqu’à la frontière ; le convoi partira demain matin à 7 heures. Je vous invite en conséquence à observer les instructions du personnel du camp et vous souhaite dès à présent un bon voyage. »
J’eus l’impression que ces quelques paroles avaient produit sur les déportés l’effet escompté, car je vis alors un grand nombre d’entre eux fouiller dans la poche intérieure de leur veston pour s’assurer qu’ils avaient bien leur précieux passeport.
L’habileté du soi-disant délégué du service des Affaires étrangères, sa manière de présenter les choses, ses gestes et surtout le timbre de sa voix ne pouvaient me tromper : cet homme n’était autre que Hössler, jouant à merveille son nouveau rôle sous le manteau d’un honnête civil.
Son discours terminé, les hommes furent aussitôt menés dans le vestiaire du sous-sol. Les assurances prodiguées par Hössler, le comportement correct et poli des S.S. avaient obtenu le résultat souhaité : tout se passait sans incident. Enfin on avait veillé à ce que les détenus du commando spécial se tiennent à l’arrière-plan, craignant sans doute que notre présence n’inquiétât et ne suscitât des contacts qu’on ne désirait pas.
Le chef d’équipe du commando des chauffeurs reçut alors l’ordre de bourrer les fours de coke, sous quinze minutes, lorsque la cour serait entièrement dégagée. Il ne fallait pas en effet que des déportés entendent le bruit du déversement du charbon dans les fours, afin d’éviter d’éveiller des soupçons. Mais déjà le monte-charge reliant les locaux souterrains à la salle d’incinération fonctionnait sans arrêt et la nervosité des S.S. allait croissant. Le chef d’équipe Kaminski venait de recevoir l’ordre de se tenir prêt à toute éventualité avec ses 18 détenus, dont je faisais partie, et nous attendions dans le corridor qui donnait accès à la fois à la chambre à gaz, à la chambre des cadavres et à la salle de déshabillage. Il venait de celle-ci une rumeur assez forte, comparable au bourdonnement des abeilles dans une ruche, ponctué à intervalles réguliers par des ordres de déshabillage. Finalement Voss nous emmena dans la salle des cadavres, où se trouvait un monceau de morts au corps décharné. Contre le mur se trouvaient des pancartes en carton pouvant avoir 70 cm de largeur sur 40 de hauteur, où étaient peintes deux lettres noires, séparées par un trait et se suivant dans l’ordre alphabétique : A-D, E-H, etc. Ces pancartes avaient été placées dans le crématoire depuis quelques jours, et nous nous demandions à quoi elles pouvaient servir.
Cette énigme fut bientôt résolue. Voss nous plaça en rangs par trois. Les détenus du milieu de chaque rang prirent alors des pancartes. Puis on nous conduisit dans le vestiaire, où nous prîmes place contre un mur, à intervalles réguliers. De l’autre côté de la salle, les déportés nous faisaient face, pouvant ainsi voir clairement les lettres des panneaux que nous brandissions. Notre arrivée excitait visiblement leur curiosité et eut pour effet de ramener le calme. Toujours aussi rusé, Hössler, qui continuait à jouer son rôle de délégué aux Affaires étrangères, mit habilement à profit cette situation. Il s’avança au-devant de la foule et prit de nouveau la parole : « Mesdames et messieurs, vous voyez toutes ces pancartes avec les lettres de l’alphabet, devant vous. Regardez-les bien. » Il désigna alors, l’index tendu, la rangée des placards de A jusqu’à Z.
« Lorsque vous en aurez terminé avec les douches,
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