Trois Ans Dans Une Chambre à Gaz D'Auschwitz
indistinctes de femmes. C’était sans doute à l’occasion de la distribution de la ration de pain, dont le crématoire n’était séparé que par une clôture. Tous les fours étaient allumés depuis le matin, et on nous ordonna de les maintenir en marche. Nous devions déverser toutes les trente minutes deux charretées de coke dans les chaudières.
Contrairement à leur habitude, L’Oberscharführer Voss et ses adjoints étaient arrivés avant nous. Ils allaient et venaient d’un air affairé et paraissaient très préoccupés de la marche des fours. Ils s’assuraient de l’allure de la combustion, contrôlaient la fermeture de la porte de la salle des cadavres, vérifiaient le nettoyage parfait des taches de sang, surveillaient la marche des ventilateurs, manœuvrant à plusieurs reprises le commutateur d’éclairage de la chambre à gaz. Pendant ce temps un S.S. assainissait l’air avec un grand pulvérisateur qui répandait une odeur douçâtre et parfumée. Il était évident qu’il fallait à tout prix faire disparaître les relents putrides qui traînaient habituellement dans ces lieux pour que les déportés eussent bien l’impression d’être introduits dans une installation hygiénique de douches. On avait également remplacé les tableaux d’orientation situés à l’entrée de la salle de déshabillage par des panneaux de grande dimension. Les lettres rouges de l’inscription « Entrée des bains et de la salle de désinfection » contrastaient avec le fond bleu clair des cloisons, toutes ces dispositions inhabituelles ayant été prises pour créer une ambiance spécialement accueillante pour les futurs candidats à la mort.
Le soir était tombé, et je profitai d’une pause entre deux opérations pour me détendre un peu. Connaissant un emplacement sous les combles garni de quelques châlits où je pouvais me reposer, je grimpai dans ce réduit et ouvris la fenêtre. Tels de longs cordons de perles lumineux, des milliers d’ampoules éblouissantes éclairaient les rangées parallèles des poteaux de béton peints en blanc qui s’étendaient à côté du réseau des barbelés. Le silence de la nuit était total. Un grand calme régnait sur la cité des esclaves, mais ce calme était trompeur.
Je remarquai dans le lointain quelques lumières qui se rapprochaient. C’était une file de camions bâchés qui pénétrèrent bientôt dans la cour du crématoire. Des S.S. qui accompagnaient le convoi sautèrent des marchepieds, coururent à l’arrière des véhicules et abaissèrent les hayons. Ils relevèrent ensuite les bâches et firent descendre les occupants des camions, en les traitant d’une manière correcte tout à fait inhabituelle.
Très intrigué, je me demandais qui étaient ces gens dont aucun ne portait l’étoile jaune de David. Les nazis allaient-ils étendre leur action d’extermination à d’autres catégories de déportés que les juifs ? Cependant les arrivants descendaient sans que l’on entendît de cris. Pour une fois on ne les frappait pas. Au contraire, les S.S. en aidaient certains à sauter à terre. En quelques instants, un millier de personnes, en majorité des hommes, étaient rassemblées dans la cour. Elles étaient bien habillées et n’avaient pas de bagages. Cela aussi était inhabituel.
L’Obersturmführer Schwarzhuber, accompagné d’un homme en civil, monta alors sur une caisse servant d’estrade. Le civil portait un manteau de cuir et un chapeau gris à bord baissé. C’était sans aucun doute un policier de la Gestapo. La foule attendait manifestement avec une certaine appréhension la suite des événements. Schwarzhuber prit la parole le premier : « Mesdames et messieurs, dit-il, je vous souhaite la bienvenue au nom de l’administration du camp. Nous sommes chargés de l’organisation de votre voyage à l’étranger, qui doit se faire le plus rapidement possible. Un délégué ici présent, du service des Affaires étrangères, va vous informer des conditions dans lesquelles votre transfert doit maintenant s’effectuer. Je lui laisse la parole. »
Un silence de mort continuait à régner dans la cour. Le soi-disant délégué des Affaires étrangères monta à son tour sur l’estrade et prit la parole. Afin de mieux entendre ce qu’il allait dire, j’entrouvris la fenêtre. « Mesdames et messieurs, je suis chargé par le service des Affaires étrangères d’organiser votre voyage en Suisse. Le lieu dans lequel
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