Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
Vom Netzwerk:
hommes bavardèrent jusqu’à deux heures du matin,
se quittèrent avec regret, promirent de se revoir.
    Norah en avait éprouvé une grande irritation.
    — Il s’est bien moqué de toi, dit-elle au mari sur le chemin de l’hôtel, avec un petit ricanement entendu.
    — Pourquoi ? Pas du tout, il est très sympa, ton père !
    Et Norah s’était aussitôt reproché sa méchante réflexion,
se disant qu’il était au vrai très possible que leur père eût
sincèrement apprécié la compagnie du mari et qu’elle leur
en voulait simplement à tous deux de paraître faire si peu
de cas de l’immense affliction de sa mère, se disant qu’elle
avait eu l’idée malséante d’amener le mari chez leur père
dans l’obscur espoir sans doute d’un affrontement grandiose au terme duquel Sony et sa mère seraient vengés et
leur père confondu, sa cruauté démasquée et par lui-même
avouée, mais n’aurait-elle pas dû comprendre que ce mari
idéal n’était pas l’homme d’une telle situation ?
    Jusqu’à présent, leur mère n’avait plus jamais revu Sony,
ne lui avait jamais écrit ni téléphoné, n’avait plus jamais
prononcé son nom.
    Elle s’était installée dans un pavillon de la grande banlieueavec son mari et il semblait à Norah, qui lui amenait
de temps en temps Lucie, que leur mère n’avait pas cessé
de sourire depuis ce voyage, de ce sourire lâche, comme
éloigné de son visage, flottant légèrement devant elle,
qu’elle avait ravi à Sony et qui protégeait sa peine.
    Norah continuait de lui transmettre les quelques nouvelles qu’elle recevait de Sony ou de leur père — les études de Sony à Londres, son retour chez leur père quelques
années plus tard —, mais elle avait souvent l’impression
que sa mère, souriant toujours, hochant la tête, s’efforçait
de ne pas l’entendre.
    Norah lui parla alors de moins en moins de Sony, puis
plus du tout lorsqu’il s’avéra que son frère, après des études
brillantes, était allé s’échouer chez leur père où il menait
une vie incompréhensible, oisive, passive, solitaire.
    Oh, certes son cœur s’était serré bien des fois quand elle
pensait à Sony.
    N’aurait-elle pas dû aller le voir plus souvent ou l’obliger, lui, à venir ?
    N’était-il pas, malgré l’argent et les facilités, un pauvre
garçon ?
    Norah, elle, s’était débrouillée seule pour devenir avocate, elle avait trimé dur et vécu difficilement.
    Personne ne l’avait aidée et ni son père ni sa mère ne lui
avaient signifié qu’ils étaient fiers d’elle.
    Et cependant elle n’avait plus de ressentiment et se
reprochait même de n’être pas allée, d’une manière ou
d’une autre, au secours de Sony.
    Et qu’aurait-elle pu faire ?
    Un démon s’était assis sur le ventre du garçon de cinq
ans et ne l’avait plus quitté depuis.

Qu’aurait-ellepu faire ?
    Voilà qu’elle se le demandait de nouveau, assise à l’arrière de la Mercedes noire conduite par Masseck et voyant
encore dans le rétroviseur intérieur, comme la voiture
s’éloignait lentement dans la rue déserte, son père immobile près de la grille, qui attendait peut-être d’être seul
pour rejoindre d’une pesante envolée l’ombre du flamboyant et la grosse branche tout écorcée et polie par ses
tongs — voilà qu’elle se le demandait de nouveau, triturant les papiers que lui avait remis son père, des feuillets
administratifs parsemés de coups de tampon : n’avait-elle
pas manqué gravement à Sony, par négligence ?
    La Mercedes était sale, poussiéreuse et les sièges couverts de miettes.
    Jamais son père n’aurait toléré autrefois autant de laisseraller.
    Norah se pencha vers Masseck et lui demanda pourquoi
Sony était en prison.
    Il eut un claquement de langue, puis un petit rire, et
Norah comprit que sa question l’indisposait affreusement
et qu’il ne répondrait pas.
    Elle se força à rire elle aussi, très gênée.
    Comment avait-elle pu ?
    Évidemment que ce n’est pas à lui de m’en parler.
    Elle se sentait l’esprit confus, dérouté.
    Juste avant de monter en voiture, elle avait essayé de
joindre Jakob, sans succès, et le téléphone de l’appartement sonnait dans le vide également.
    Il lui semblait peu probable que les enfants soient déjà
parties pour l’école, peu probable aussi qu’ils fussent tous
lestrois encore si profondément endormis que la sonnerie,

Weitere Kostenlose Bücher