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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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raison ?
    Et n’était-ce pas tous ses principes d’éducation qui
étaient contestés, dans leur rigueur, leur éclat, leur
âpreté ?
    Car s’ils devaient penser qu’elle avait menti ou dissimulé ou bizarrement oublié, elle apparaîtrait d’autant plus
coupable d’avoir exigé et prôné, dans la vie qu’ils menaient
ensemble, une telle rectitude.
    Mais n’avaient-ils pas raison ?
    Une chaleur humide glissait sur ses cuisses, s’insinuait
entre ses fesses et la chaise.
    Elle toucha vivement sa robe.
    Désespérée, elle essuya ses doigts mouillés sur sa serviette.
    — Tu avais envie de savoir ce que c’était que de vivre
près de Sony et moi, continuait son père de sa voix bienveillante, alors tu as loué cette maison à Grand-Yoff, je
suppose que tu voulais ton indépendance parce que, bien
sûr, je n’aurais jamais refusé de t’accueillir. Tu n’es pas
restée très longtemps, n’est-ce pas ? Tu avais imaginé
peut-être, je ne sais pas, des relations comme on en a chez
vous aujourd’hui, où on n’arrête pas de blablater et de se
confier, de se repentir, de s’inventer toutes sortes de problèmeset de se dire à tout bout de champ qu’on s’aime,
mais moi j’avais mon travail à Dara Salam et puis ce n’est
pas mon genre, ces épanchements. Non, tu n’es pas restée longtemps, tu devais être déçue. Je ne sais pas trop. Et
Sony n’était pas au mieux de sa forme à cette époque-là et
peut-être qu’il t’a déçue lui aussi.
    Elle ne bougeait pas, attentive à ne rien laisser deviner
de sa misère.
    Elle tenait ses pieds soulevés au-dessus de la petite mare
sous sa chaise.
    Son visage était enflammé, sa nuque brûlante.
    Elle ne dit rien, garda les yeux baissés et resta assise
jusqu’à ce que chacun eût quitté la table, après quoi elle
alla chercher une serpillière dans la cuisine.
    Ce soir-là, elle sortit sur le seuil de la maison avant que
la nuit se fût installée, sachant qu’elle y trouverait son père,
debout, figé dans l’attente patiente, immuable du moment
de son élan.
    Il rayonnait comme jamais dans sa chemise crasseuse.
    Il avisa la robe beige qu’elle avait passée, fit la moue et
dit, presque gentiment :
    — Tu t’en es pissé dessus, tout à l’heure. Il n’y avait pas
de quoi, tu sais.
    — Sony m’a dit que tu as étranglé ta femme, dit Norah,
indifférente à ce qu’il venait de proférer.
    Il n’eut pas un tressaillement, pas un coup d’œil oblique,
un peu absent déjà, absorbé sans doute par la conscience
de la nuit qui venait et sa propre hâte de retrouver le sombre asile du flamboyant.
    — Sony affirme que c’est lui, dit-il enfin, comme rappeléà un présent ennuyeux. Il n’a jamais dit et ne dira
jamais autre chose. Je le connais. J’ai confiance en lui.
    — Mais pourquoi tout ça ? s’écria-t-elle sourdement.
    — Je suis vieux, ma fille. Tu me vois à Reubeuss ?
Allons, allons. D’ailleurs, tu n’étais pas là, que je sache.
Qu’est-ce que tu sais de qui a fait quoi ? Rien du tout. Sony
s’est accusé, ils ont bouclé l’enquête, et voilà.
    Sa voix se faisait de plus en plus faible, ténue, rêveuse.
    — Mon pauvre cher garçon, chuchota-t-il.
    Dans la chambre transformée en bureau provisoire, elle
relisait pour la énième fois le dossier d’instruction de l’affaire de Sony.
    Jakob et les fillettes étaient rentrés à Paris tandis qu’elle-même s’installait dans la petite maison aux murs roses et
au toit de tôle bleu, après s’être entendue avec les collègues de son cabinet pour assurer la défense de Sony.
    Et elle levait parfois les yeux du dossier et considérait
avec plaisir la petite pièce blanche et nue et elle acceptait
l’idée qu’elle avait peut-être, dix ans auparavant, dormi
dans cette même chambre, car il était maintenant plus simple pour elle d’admettre, le cœur ouvert, une telle éventualité, que de la rejeter avec effroi et colère, de sorte qu’elle
laissait sans crainte l’envahir une impression de déjà-vu
qui pouvait aussi bien provenir de ce qu’elle avait traversé
en rêve ce qu’elle vivait à présent.
    Elle était là, seule dans l’intense clarté d’une maison
étrangère, assise sur une chaise dure et fraîche de métal
poli, et son corps tout entier était au repos et son esprit
était au repos pareillement.
    Elle comprenait ce qui s’était passé dans la maison de
sonpère, elle comprenait

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