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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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petites feuilles, elle était là sombre dans sa robe vert tilleul,
àdistance prudente de la phosphorescence de son père, et
pourquoi serait-elle venue se nicher dans le flamboyant si
ce n’était pour établir une concorde définitive ? Son cœur
était alangui, son esprit indolent. Il entendait le souffle de
sa fille et n’en éprouvait pas d’irritation.

II
    Toutau long de la matinée, comme les vestiges d’un
rêve pénible et vaguement avilissant, la pensée l’accompagna qu’il aurait mieux fait de ne pas lui parler ainsi,
dans son propre intérêt, puis, à force de tours et de détours
dans son esprit inquiet, cette idée se mua en certitude alors
même qu’il en venait à ne plus très bien se rappeler le
motif de la dispute — ce rêve pénible et avilissant dont ne
lui restait qu’un arrière-goût plein d’amertume.
    Il n’aurait jamais, jamais dû lui parler ainsi — voilà
tout ce qu’il savait maintenant de cette querelle, voilà ce
qui l’empêchait de se concentrer sans qu’il pût espérer en
tirer avantage par ailleurs, plus tard, lorsqu’il rentrerait à la
maison et la retrouverait, elle.
    Car, songeait-il confusément, comment allait-il apaiser
sa propre conscience si ses souvenirs tronqués de leurs
conflits ne faisaient apparaître que sa culpabilité à lui,
encore et toujours, comme dans ces rêves pénibles et avilissants où, quoi que l’on dise, quoi que l’on décide, on est
en faute, irrévocablement ?
    Et comment, songeait-il encore, allait-il se calmer et
devenir un père de famille correct s’il ne parvenait à apaisersa conscience, comment allait-il pouvoir se faire aimer
     de nouveau ?
    Il ne devait pas, certes, lui parler ainsi, aucun homme
n’en a le droit.
    Mais ce qui l’avait poussé à laisser franchir ses lèvres
certains mots que ne doit jamais prononcer un homme dont
le plus violent désir est de se faire aimer comme avant, il
le revoyait mal, comme si ces phrases terribles (qu’étaient-elles donc, d’ailleurs, exactement ?) avaient explosé dans
sa tête, détruisant tout le reste.
    Était-il juste alors qu’il se sentît tellement blâmable ?
    S’il pouvait seulement, songeait-il, prouver devant son
propre tribunal intérieur qu’il avait eu quelque raison valable de plonger dans une si grande colère, c’est avec plus
de mesure qu’il regretterait son emportement et tout son
caractère s’en trouverait adouci.
    Tandis que sa honte présente, exaltée, tourbillonnante et
chaotique, ne faisait que le mettre en rogne.
    Oh, comme il aspirait à la quiétude, à la clarté !
    Pourquoi, le temps passant, pourquoi, la belle jeunesse
s’éloignant de lui, avait-il l’impression que seule la vie des
autres, de presque tous les autres autour de lui, progressait
naturellement sur un chemin de plus en plus dégagé que la
lumière finale éclairait déjà de rayons chauds et tendres, ce
qui leur permettait, à tous ces hommes de son entourage,
de baisser leur garde et d’adopter vis-à-vis de l’existence
une attitude décontractée, subtilement caustique mais
imprégnée de la conscience discrète qu’un savoir essentiel
leur était échu au prix de leur ventre souple et plat, de leur
chevelure unie, de leur parfaite santé ? Et je m’endeuille
profondément, car je suis en grand effondrement .
    Lui,Rudy, percevait de quelle nature était ce savoir, bien
qu’il lui parût avancer avec peine sur un sentier dont nulle
lueur ultime ne pouvait percer l’amas de broussailles.
    Il croyait comprendre, du fond de son désordre, de sa
faiblesse, l’insignifiance fondamentale de ce dont il souffrait et, cependant, de cette intuition il était incapable de se
servir avec profit, perdu comme il l’était dans les marges
de la vraie vie, celle sur laquelle chacun a le pouvoir de
peser.
    De telle sorte, se disait-il, qu’il n’avait pas encore
accédé, lui, Rudy Descas, malgré ses quarante-trois ans,
à cette pondération désinvolte et chic, à cette ironie paisible qu’il voyait empreindre les actes les plus simples et les
plus ordinaires propos des autres hommes, lui semblait-il,
qui, tous, s’adressaient avec calme et spontanéité à leurs
enfants, lisaient journaux et magazines avec un intérêt
goguenard, pensaient avec plaisir au déjeuner entre amis
du dimanche suivant, pour la réussite duquel ils se dépenseraient généreusement, gaiement, sans devoir jamais faire
effort

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