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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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l’arrière du
magasin, malgré, en somme, tout ce qui pouvait faire de
Manille, fils de travailleurs agricoles, un banal parvenu de
province, l’aménité et l’obligeance et la faculté de compassiondiscrètement répandue se découvraient aussitôt dans
son regard doux, modeste.
    Et Rudy Descas se demanda alors pour la première fois
si ce n’était pas cela précisément qui avait attiré Fanta, ce
que lui-même avait perdu depuis longtemps, le…
    Il entra dans le bureau, referma la porte sans bruit.
    Il se sentait rougir.
    C’était pourtant bien cela et si les mots étaient pompeux,
il n’y en avait pas d’autres — le talent de miséricorde.
    Il n’avait jamais pensé, même au plus fort de son chagrin
et de sa colère, après que maman (oui ?) lui avait appris la
liaison de Fanta et de Manille, il n’avait jamais pensé, non,
que la richesse de Manille et la puissance et le respect que
cela lui valait avaient pu séduire Fanta.
    Il ne l’avait jamais pensé.
    À présent, oh oui, il comprenait ce dont il s’agissait, et
il le comprenait à la lumière de ce qu’il n’avait plus, car il
comprenait enfin qu’il ne l’avait plus, alors qu’il en avait
souffert sans le savoir.
    Le talent de miséricorde.
    Il avança vers sa table, se laissa tomber sur son siège à
roulettes.
    Autour de lui, dans la grande pièce vitrée, toutes les
tables étaient occupées.
    — Tiens, te voilà.
    — Salut, Rudy !
    Il répondit par un sourire, un petit geste de la main.
    Sur sa table encombrée, juste à côté du clavier de l’ordinateur, il vit un paquet de prospectus.
    — C’est ta mère qui a apporté ça tout à l’heure.
    La voix de Cathie lui parvenait cordiale et un brin soucieusedepuis la table voisine et il savait que, s’il tournait
la tête, son regard rencontrerait le sien, interrogatif, légèrement perplexe.
    Elle lui demanderait à mi-voix pourquoi il arrivait avec
trois quarts d’heure de retard et peut-être aussi pourquoi
il n’interdisait pas à maman, purement et simplement, de
mettre les pieds chez Manille.
    Aussi fit-il en sorte de lui répondre d’un grommellement qui ne l’obligeait pas à lever les yeux vers elle.
    Dans l’étincelante clarté de la pièce, l’éclat du chemisier rose vif de Cathie rayonnait largement autour d’elle.
    Rudy en percevait le reflet sur la surface blanche de sa
     propre table.
    Il savait aussi que, s’il se tournait vers Cathie, il verrait
distinctement au-delà de la pâle petite figure de sa collègue, de l’autre côté de la baie vitrée, la villa de Manille,
grande construction crépie de rose clair, au toit de tuiles
à la provençale, aux volets bleus, qu’une simple pelouse
éloignait de l’entreprise, et qu’il ne pourrait s’empêcher de
se demander pour la énième fois inutilement et douloureusement si Cathie et les autres, Dominique, Fabrice, Nathalie, avaient observé à l’époque les allées et venues de Fanta
dans cette maison de rêve, et combien de fois elle y était
entrée, et pourquoi lui, Rudy, ne l’avait jamais aperçue
bien qu’il n’eût cessé en cette période affreuse où il savait
sans savoir réellement (car devait-il croire tout ce que
disait maman ?) de lever les yeux vers la baie vitrée, regardant par-dessus la tête navrée, compatissante de Cathie
(tout le monde était-il donc au courant de sa disgrâce ?)
l’entrée chichiteuse de la villa, double porte à imposte de
fer forgé.
    Commeil avait souffert alors !
    Comme il avait eu honte, comme il s’était senti violent !
    C’était passé et loin maintenant mais il ne pouvait
encore s’adresser à Cathie sans jeter un coup d’œil à la
maison de Manille et sentir furtivement la rage bouillonner
en lui.
    Il eut soudain envie de lui lancer, d’une voix sèche qui
la mettrait mal à l’aise : maman n’a plus guère que cette
consolation dans la vie, aller déposer à droite et à gauche
ses paquets de prospectus débiles, cette propagande pour
pauvres crétins aussi solitaires et désœuvrés qu’elle, comment veux-tu que je lui interdise de venir ici et, vraiment,
qui cela gêne-t-il, hein ?
    Il ne lui dit rien cependant.
    Il percevait l’aura fuchsia qui émanait d’elle et il en était
agacé, car il ne pouvait oublier sa présence.
    D’un revers du bras il écarta le paquet de prospectus
attaché avec un élastique.
    Ils sont parmi nous.
    Le dessin maladroit, presque risible,

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