Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
Vom Netzwerk:
confusément : Je ne suis pourtant pas très lourd, avant
de comprendre que ces mains fines et terrifiées étaient celles de la principale du lycée, Mme Plat.
    Alors il avait tâché de l’aider malgré sa grande douleur
aux épaules et il s’était senti gêné pour eux deux, comme
si Plat le découvrait dans une intimité que rien dans leurs
relations n’avait justifié qu’ils partagent jamais.
    Les trois garçons étaient là, debout bien droits, groupés
et silencieux, calmes, semblant attendre que justice leur fût
rendue,si sûrs de leur cause qu’ils n’éprouvaient pas le
besoin de se presser d’expliquer.
    Rudy avait croisé le regard du garçon de Dara Salam.
    Celui-ci l’avait soutenu avec neutralité, froideur, désintérêt.
    Il avait touché doucement sa pomme d’Adam pour
signifier, sans doute, qu’il avait encore très mal.
    — Voulez-vous que j’appelle l’infirmière ? avait
demandé Plat à Rudy, qui avait refusé.
    Et bien que la chaleur à l’intérieur de sa tête fût telle
qu’il ne pouvait savoir exactement, avant de les avoir prononcés, quels mots allaient franchir ses lèvres, il s’était
lancé dans un discours embrouillé, ardent, visant à disculper entièrement les garçons.
    Le regard perplexe et méfiant de Plat fixait la joue et la
tempe ensanglantées de Rudy.
    C’était une femme assez jeune, décontractée, avec
laquelle il s’était toujours bien entendu.
    Mais elle le regardait maintenant avec suspicion et un
reste d’effroi et Rudy sentait à mesure qu’il parlait que sa
défense paniquée des trois garçons jouait en sa défaveur
autant qu’en la leur, il sentait que Plat se mettait à flairer
entre eux tous une complicité de mauvais aloi, incompréhensible, ou, pire encore, une réaction d’épouvante chez
lui, Rudy, face à des élèves dont il redouterait la vengeance.
    À ce moment il avait déjà occulté en lui-même ce qu’il
s’était passé réellement.
    La vérité qu’il avait accepté de découvrir tout à l’heure,
sur le parking de Manille, il la méconnaissait déjà.
    Aussi était-il convaincu de mentir en déchargeant les
garçonsde toute responsabilité dans le début de l’affrontement.
    Ce sont eux qui m’ont agressé, pensait-il, car ses doigts
avaient alors oublié la tiédeur du cou de ce garçon de Dara
Salam — et ce qu’il disait à Plat, c’était pourtant le contraire,
par pudeur, par honte de sembler être une victime.
    Plus tard, dans le bureau de Plat, il n’en démordrait pas :
les garçons l’avaient jeté à terre parce qu’il les avait absurdement et volontairement offensés.
    C’est faux, c’est faux, pensait-il, je n’ai rien fait à personne, et le sang cognait dans sa tête bouillante et ses
épaules le faisaient atrocement souffrir.
    — Mais pourquoi ont-ils fait ça ? Qu’est-ce que vous
leur avez dit ? avait demandé Plat, désorientée.
    Il s’était tu.
    Elle avait reposé sa question.
    Il avait continué de se taire.
    Quand il avait repris la parole, ç’avait été pour affirmer
que les garçons avaient eu raison de le battre, car ce qu’il
leur avait lancé n’était pas excusable.
    Les garçons, interrogés à leur tour, n’avaient rien dit.
    Personne n’avait parlé du professeur Rudy Descas se
jetant sur le garçon de Dara Salam.
    Il n’était resté de l’histoire que la version de Rudy proférant une vilenie et s’attirant ainsi une réaction brutale.
    Plat avait conseillé à Rudy de prendre un congé de maladie.
    Son cas avait été discuté à l’académie et, venant il
n’avait jamais su d’où, l’interjection « Putains de négros ! »
examinée comme celle qu’il aurait adressée aux trois
garçons.
    Quelqu’uns’était souvenu que le père de Descas, vingt-cinq ans auparavant, avait humilié et assassiné son associé
africain.
    Le conseil disciplinaire avait ainsi décidé la suspension
de Rudy.
    Il haletait, comme sous l’effet d’un coup.
    Il pouvait, aujourd’hui, pour la première fois, se rappeler cette période, il pouvait se rappeler l’odeur du goudron
et la pression de ses doigts sur la trachée du garçon, mais
la douleur ancienne était réveillée.
    Attendant la sentence du conseil, il avait passé un mois
dans l’appartement du Plateau.
    Ce joli trois-pièces d’une résidence neuve, plantée le
long d’une avenue ombragée de flamboyants, il en était
venu à le prendre en haine.
    Il ne

Weitere Kostenlose Bücher