Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
Vom Netzwerk:
n’avait pas fui, il n’était pas entré.
    Il s’était contenté de protéger ses intérêts en se gardant à
couvert de tout risque de sincérité.
    Assomméd’une fatigue soudaine, il quitta la route et
s’engagea dans une plantation de peupliers.
    Il se gara sur un chemin herbu, là où la dernière ligne de
peupliers laissait place à un bois.
    Il avait si chaud dans la voiture qu’il se sentait au bord
de l’évanouissement.
    Le jambon et le pain mou et blanc lui pesaient sur l’estomac.
    Il sortit de la voiture et se jeta dans l’herbe.
    La terre était fraîche, lourde d’une odeur de limon.
    Il roula un peu sur lui-même, ivre de joie.
    Il s’étendit sur le dos, bras croisés au-dessus de sa tête
et, offrant sa face au soleil, plissa les paupières et regarda
les troncs blancs et les petites feuilles argentées des peupliers devenir rougeâtres entre ses cils.
    Point n’était besoin, Fanta .
    Elle ne fut d’abord qu’une tache noire parmi d’autres,
loin au-dessus de lui dans le ciel laiteux, puis il entendit
et reconnut son cri hargneux, véhément, et il comprit, à la
voir piquer vers lui, qu’elle l’avait reconnu également.
    Il fut sur ses pieds d’un bond.
    Il sauta dans la voiture, ferma la portière à l’instant où
la buse se posait sur le toit.
    Il entendit le clap clap des serres sur le métal.
    Il démarra brutalement en marche arrière.
    La buse s’envola, il la vit se percher à mi-hauteur d’un
peuplier.
    De profil elle l’observait, inflexible et droite, de son œil
jaspé, mauvais.
    Il fit demi-tour et s’éloigna sur le chemin aussi vite qu’il
le pouvait.
    L’angoisse,la chaleur l’éblouissaient.
    Allait-il maintenant jamais, se demanda-t-il, allait-il
pouvoir sortir de sa voiture sans que l’oiseau vindicatif
s’acharnât à vouloir lui faire payer ses vieux torts ?
    Et qu’en eût-il été s’il n’avait pris conscience,
aujourd’hui précisément, de ces fautes passées ?
    La buse aurait-elle paru, se serait-elle montrée ?
    C’était bien injuste, se disait-il, au bord des larmes.
    Quand il arriva devant la petite école, les élèves étaient
en train de sortir des classes, toutes situées au rezdechaussée.
    L’une après l’autre les portes s’ouvraient sur la cour et,
comme s’ils s’étaient agglutinés contre le battant pour le
contraindre à s’ouvrir, les enfants déboulaient titubants,
un peu hagards, et ils clignaient des yeux dans la lumière
dorée de fin d’après-midi.
    Rudy quitta la voiture, jeta un regard vers le ciel.
    Rassuré pour le moment, il s’approcha de la grille.
    Au milieu de tous les enfants qui paraissaient, de loin,
se ressembler jusqu’à la confusion, jusqu’à ne plus former
qu’une masse du même individu fantastiquement multiplié, il reconnut le sien, pourtant pareil aux autres avec ses
cheveux châtains, son tee-shirt bariolé, ses chaussures de
sport — celui-là était, entre tous, son enfant, et il le reconnaissait.
    Il appela :
    — Hé, Djibril !
    Et le garçon s’interrompit tout net dans sa course et la
bouche grande ouverte dans un rire se ferma aussitôt.
    Et Rudy vit avec douleur, avec malaise, l’inquiétude
figer les traits du visage mobile, nerveux de son fils à
l’instantoù celui-ci l’aperçut derrière la grille et que tout
espoir que ce n’eût pas été la voix de son père s’évanouit.
    Rudy leva la main, l’agita en direction de l’enfant.
    En même temps il scrutait le ciel et tâchait d’écouter,
par-delà les bruits de la cour, une éventuelle imprécation.
Djibril le regarda fixement.
    Il se détourna d’un mouvement résolu et reprit sa
course.
    Rudy l’appela de nouveau mais l’enfant ne lui portait
pas plus d’intérêt que s’il avait vu un étranger derrière la
grille.
    Il jouait, à présent, tout au fond de la cour, à un jeu de
ballon que Rudy ne connaissait pas.
    N’aurait-il pas dû, en vérité, connaître les jeux de son
fils ?
    Rudy songea qu’il pourrait, comme le ferait tout autre
père, pénétrer dans la cour, marcher d’un pas irrité jusqu’à
son fils, l’empoigner par le bras et l’amener ainsi à la voiture.
    Mais, outre qu’il craignait que Djibril ne se mît à pleurer et qu’il voulait éviter cela à tout prix, il redoutait l’espace dégagé de la cour.
    Si la buse survenait, insensible et lugubre, où se cacherait-il ?
    Il retourna s’asseoir au volant de la Nevada.
    Il

Weitere Kostenlose Bücher