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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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au toit
court, à la sortie d’un village-rue, dans un lotissement
récent.
    Quand elle était rentrée en France avec Rudy, juste après
la mort d’Abel, elle s’était réinstallée dans leur ancienne
maison en pleine campagne, et Rudy avait dû intégrer
comme interne le collège le moins éloigné.
    Il avait fait ses études supérieures à Bordeaux (il se rappelait l’infinie désolation des rues noires, le campus excentré,perdu dans les mornes faubourgs) et c’est encore dans
cette vieille maison isolée qu’il allait de temps en temps
rendre visite à maman.
    Puis, sitôt son diplôme acquis, il était reparti là-bas, professeur au lycée Mermoz.
    À son retour forcé, cinq ans auparavant, en compagnie de l’enfant et de Fanta, il avait constaté que maman
avait quitté sa maison pour s’installer dans ce pavillon aux
minuscules fenêtres carrées, dont le toit paraissait un front
trop bas qui donnait à l’ensemble un air buté et sot.
    Comme il s’était senti, dès le début, mal à l’aise dans
ce quartier d’habitations toutes semblables bâties sur des
parcelles rectangulaires et nues qui s’ornaient naïvement
maintenant de quelques sapins replantés après Noël ou de
bosquets d’herbe de la pampa !
    Il avait eu l’impression qu’en s’établissant là maman
non seulement se soumettait mais ratifiait, en le devançant
avec une saumâtre complaisance, le constat d’échec absolu
qu’au terme de sa vie lui présenterait quelque autorité
suprême.
    Rudy avait brûlé de lui dire : Était-il vraiment nécessaire
d’illustrer ainsi le naufrage ? L’existence en pleine campagne
n’avait-elle pas plus de tenue ?
    Mais, comme à son habitude avec maman, il n’avait rien
dit.
    Sa propre situation lui paraissait manquer tellement
d’allure !
    Du reste, il n’avait pas tardé à se rendre compte que
maman appréciait son quartier et que l’abondant voisinage féminin lui permettait d’écouler bien plus facilement
qu’avant ses brochures angéliques.
    Elles’était fait des amies parmi des femmes dont la
seule vue inspirait à Rudy une tristesse pleine de gêne.
    Le corps, le visage marqués des stigmates d’une vie
terrible, brutale (cicatrices, traces de coups ou de chutes,
empourprement alcoolique), elles étaient pour la plupart
sans emploi et ouvraient volontiers leur porte à maman qui
s’efforçait de déterminer avec elles le nom du gardien de
leur âme, puis s’efforçait de le localiser, cet ange qui ne
leur était jamais apparu, qui, faute d’avoir été correctement
appelé, n’était jamais venu à leur aide.
    En somme, avait fini par se dire Rudy non sans dépit,
maman se trouvait parfaitement bien dans son sinistre
lotissement.
    Il tourna un peu dans le quartier, perdu comme chaque
fois qu’il y venait, prenant successivement, sans s’en rendre compte, les mêmes rues.
    Le jardinet de maman était l’un des rares qui ne fût pas
encombré de jouets en plastique, de chaises et de tables
démantibulées, de pièces de voitures.
    L’herbe y poussait haute et jaunâtre car maman, prétendait-elle, n’avait pas le temps de s’en occuper, toute à son prosélytisme.
    Djibril quitta la voiture de mauvaise grâce.
    Il avait laissé son cartable sur la banquette, Rudy s’en
saisit en descendant.
    Il vit au regard effaré de l’enfant que celui-ci réalisait
alors pleinement qu’il ne repartirait pas avec son père.
    Il faut pourtant bien qu’il voie sa grand-mère de temps
en temps, songea Rudy, navré.
    Comme lui paraissait loin la matinée de ce même jour,
lorsque, informant Fanta qu’il irait chercher Djibril et
l’emmèneraitdormir chez maman, le soupçon lui était
venu qu’il ne désirait pas tant faire plaisir à celle-ci qu’empêcher Fanta de s’en aller !
    Car pourquoi se fût-il soudain avisé de vouloir complaire à maman de cette façon-là ?
    S’il ne pouvait donner entièrement raison à Fanta qui
affirmait que maman n’aimait pas Djibril, car c’eût été
faire l’erreur de considérer maman comme une personne
ordinaire qui, simplement, aimait ou n’aimait pas, il lui
paraissait évident depuis la naissance de l’enfant, depuis
que maman, penchée sur le berceau, avait examiné les particularités physiques du petit, que Djibril ne correspondait
nullement et qu’il n’y avait nul espoir qu’il correspondît
jamais à l’idée que maman se faisait d’un messager divin,
de

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