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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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sorte qu’elle n’avait guère pris la peine de s’attacher à
l’enfant et c’est cela, cette aimable indifférence, que Fanta
comprenait comme de l’antipathie.
    Rudy posa sa main sur l’épaule de Djibril.
    Il pouvait sentir sous ses doigts les os menus, pointus.
    Djibril laissa aller sa tête contre le ventre de son père et
Rudy fouilla de ses doigts les cheveux bouclés et soyeux,
tâtant le crâne bien lisse, parfait, miraculeux.
    Des larmes acides lui vinrent aux yeux d’un coup.
    Alors il entendit un cri au-dessus d’eux, un seul cri
furieux et menaçant.
    Il ôta sa main, poussa Djibril devant lui vers le portillon
du jardin, si brusquement que le garçon trébucha.
    Rudy le retint par le bras et ils franchirent l’espace
d’herbe desséchée jusqu’à la porte de la maison et Rudy
pensa qu’il avait l’air ainsi de mener l’enfant de force.
    Mais,terrifié, hagard, n’osant lever les yeux vers le ciel,
il ne songeait pas à desserrer l’étau de ses doigts.
    Djibril gémit, se secoua.
    Rudy le lâcha.
    L’enfant le regardait avec une perplexité épouvantée.
    Rudy grimaça un sourire, donna des coups de poing
dans la porte.
    Si la buse allait piquer sur lui avant que maman n’eût
ouvert, qu’en deviendrait-il des tentatives de restauration
de son honneur ?
    Oh, tout serait perdu alors !
    La porte s’ouvrit presque aussitôt.
    Rudy tira Djibril à l’intérieur et referma le battant.
    — Eh bien, eh bien, dit maman d’une voix enjouée.
Quelle surprise !
    — Je t’ai amené le petit, murmura Rudy, encore choqué.
    Car point n’était besoin, Fanta, point n’était besoin
maintenant…
    Maman pencha son visage au niveau du visage de Djibril et l’examina attentivement avant d’appliquer le bout
de ses lèvres sur le front de l’enfant.
    Djibril, mal à l’aise, se tortillait.
    Elle se haussa ensuite pour embrasser Rudy et il sentit au
frémissement de sa bouche qu’elle était heureuse, excitée.
    Il en fut légèrement inquiet.
    Il devinait que sa joyeuse fébrilité n’était pas due à leur
présence mais à quelque chose qui les avait précédés, lui
et le garçon, et que leur visite n’allait en rien déranger car
elle était négligeable, superflue à côté de cette mystérieuse
source d’exultation.
    Il en fut comme jaloux, à la fois pour lui et Djibril.
    Ilposa lourdement ses deux mains sur les épaules de
son fils.
    — J’ai pensé que tu serais contente de le garder pour la
nuit.
    — Ah !
    Maman croisa les bras, dodelina de la tête, son œil scrutateur de nouveau posé sur le visage de l’enfant comme
pour tâcher d’estimer sa valeur.
    — Tu aurais dû me prévenir, mais bon, ça ira.
    Rudy remarquait sans plaisir qu’elle semblait tout particulièrement juvénile et gracieuse ce jour-là.
    Ses cheveux courts étaient teints de frais, d’un beau
blond cendré.
    Sa peau, poudrée, très blanche, était bien tendue sur les
pommettes.
    Elle portait un jean et un polo rose et quand elle se
détourna pour aller vers la cuisine, il vit que le jean était
serré et qu’il moulait ses hanches étroites, ses fesses petites, ses genoux très fins.
    Dans la minuscule cuisine toute de bois sombre, un garçon était assis à la table exiguë.
    Il était en train de goûter.
    Il trempait dans un verre de lait un sablé que Rudy
reconnut comme ceux que maman confectionnait pour les
occasions spéciales.
    Il avait environ l’âge de Djibril.
    C’était un bel enfant aux yeux clairs, aux cheveux
blonds bouclés.
    Rudy eut une sorte de haut-le-cœur.
    Il eut dans la bouche le goût du jambon, du pain blanc
et mou.
    —Tiens, assieds-toi là, dit maman à Djibril en lui désignant l’autre chaise face à la petite table. Tu as faim ?
    Elle demandait avec l’air de souhaiter que la réponse fût
négative et Djibril secoua la tête et refusa également de
s’asseoir.
    — C’est un petit voisin, je me suis fait un nouvel ami,
dit maman.
    L’enfant blond ne regardait personne.
    Il mangeait avec application et bonheur, les lèvres humides de lait, sûr de lui, confiant.
    Rudy fut alors certain qu’il n’y avait nulle autre cause
à l’avide félicité, à l’éclat dur et heureux du visage de
maman que la présence de ce garçon dans sa cuisine, se
régalant des biscuits qu’elle avait préparés pour lui.
    Non, nulle autre cause à cette palpitation de sa peau, de
ses lèvres que le garçon lui-même.
    Il sut tout

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