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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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aussi clairement qu’il ne laisserait pas Djibril
à maman ce soir-là ni aucun autre soir et, cette résolution
prise, un immense soulagement lui vint.
    Il serra son fils contre lui, chuchota à son oreille :
    — On va rentrer tous les deux, tu ne restes pas là, d’accord ?
    Puis, comme Djibril devait avoir faim et qu’il pouvait
bien, pour si peu de temps, s’attabler chez maman, Rudy
lui versa un verre de lait et tira la chaise afin qu’il y prît
place.
    — Viens, j’ai quelque chose à te montrer, dit maman à
Rudy.
    Il la suivit dans le salon rempli de meubles trop gros,
inutiles, qui ne ménageaient pour circuler que d’étroits
couloirs aux angles compliqués.
    —Comment tu le trouves ? demanda maman d’une voix
faussement détachée.
    Cette voix, il la sentait vibrer de convoitise, d’impatience, d’enchantement.
    — Il me sert déjà de modèle, il pose très bien. Je ne le
lâcherai pas, celui-là.
    Elle eut un rire haut et bref.
    — De toute façon, chez lui, personne ne s’en occupe.
Mon Dieu, comme il est beau ! Non ?
    Sur sa table couverte de papiers et de stylos, de paquets
de brochures ficelés, elle prit un carton qu’elle présenta à
Rudy.
    C’était l’ébauche d’un dessin.
    Vêtu d’une robe blanche, le petit voisin de maman volait
maladroitement au-dessus d’un groupe d’adultes figés
dans ce qui devait figurer la crainte ou l’ignorance.
    Maman expliquait, de sa voix tendue, ravie, coupante.
    — Il est là, au-dessus d’eux, et ils ne l’ont pas encore
reconnu, il ne leur a pas encore été donné de voir la lumière
mais dans le dessin suivant ils seront éclairés et leurs yeux
dessillés et l’ange pourra prendre place au milieu d’eux.
    Rudy se sentait envahi d’un dégoût plein de lassitude.
    Elle est cinglée, et de la plus stupide manière, et je ne
veux plus ni ne dois plus protéger cela. Mon pauvre petit
Djibril ! Ah, nous ne remettrons plus les pieds ici.
    À cet instant, et Rudy crut qu’elle avait deviné ses pensées, maman lui caressa la joue, lui flatta la nuque en lui
souriant tendrement, et sa main froide, moite, était d’un
contact déplaisant.
    Il apercevait, comme elle était petite, ses seins un peu
lourds dans l’échancrure profonde du polo.
    Ilslui parurent gonflés de lait ou de plaisir.
    Il détourna les yeux, recula doucement pour qu’elle ôtât
sa main.
    Elle ne me parle jamais que de ce qui m’ennuie ou
m’agace, et ce qu’il me faut encore savoir elle ne me l’apprendra pas d’elle-même car, elle, cela ne l’intéresse plus
depuis longtemps.
    — A-t-on su, commença-t-il avec raideur, lenteur, qui
avait fait passer une arme à mon père ?
    Elle demeura figée de surprise, quoique cela ne se devinât que dans le temps qu’elle prit pour reposer son carton sur la table puis se tourner vers lui, un sourire pincé,
contrarié, étirant à demi ses lèvres sèches.
    — Ces vieilles histoires, dit-elle.
    — Est-ce qu’on l’a su ? insista-t-il.
    Elle soupira, ostentatoire, importunée, coquette.
    Elle se laissa tomber dans un fauteuil et parut presque
disparaître dans les épaisseurs flasques et disproportionnées, emballées de similicuir rosâtre.
    — Non, évidemment, on ne l’a jamais su, est-ce qu’il
y a même eu enquête je n’en suis pas sûre, tu connais le
pays, tu peux t’imaginer. Mais quelle importance, après
tout. On peut tout se procurer dans les prisons, il suffit de
payer.
    Et la voix de maman se teintait à nouveau de cette
aigreur rancuneuse, générale, butée, que Rudy lui avait
entendue depuis qu’elle était rentrée en France quelque
trente ans auparavant, et que sa passion pour les anges et
le déploiement presque professionnel de sa propagande lui
avaient fait abandonner peu à peu.
    Il la retrouvait, cette aigreur, pareille, intacte, comme
     sile souvenir de cette période devait s’accompagner de la
voix et des sentiments qui y avaient été associés.
    — Ton père avait de quoi payer, ce n’était pas le problème. Il n’y avait même pas six semaines qu’il était à
Reubeuss et il avait déjà trouvé le moyen de commander
un revolver, il s’y connaissait, il connaissait les gens, le
pays, tu sais bien. Il avait décidé qu’il préférait crever plutôt que de croupir à Reubeuss puis d’endurer un procès qui
ne lui laissait de toute façon aucune chance de s’en sortir.
    — Il t’avait dit ça ? Qu’il

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