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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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auparavant, lorsqu’elles reposaient oisives et retournées,
désarmées, ingénues.
    Profond fut son soulagement quand sa belle-mère,
balayant l’air de ses doigts, lui signifia qu’elle en avait fini
et que Khady pouvait quitter la pièce.
    Elle n’avait aucune idée de ce qui venait de lui être dit au
sujet des conditions de son départ — quand s’en irait-elle,
vers quelle destination, dans quel but, par quel moyen ?
— et comme, les jours qui suivirent, nul ne lui parla de
nouveau, qu’elle se rendit au marché comme d’habitude
et qu’on ne prêta aucune attention à sa personne, l’inquiétante possibilité d’un bouleversement de son existence se
mêla dans son souvenir aux serpents et aux visages imprimés, en emprunta le caractère fantasmagorique et absurde,
sombra dans l’oubli où disparaissent les rêves ineptes.
    Un soir, la belle-mère lui donna une bourrade dans les
reins.
    —Prépare tes affaires, dit-elle.
    Puis, comme par crainte que Khady n’emportât ce qui
ne lui appartenait pas, elle déploya elle-même sur le sol
de la chambre commune l’un des pagnes de Khady, posa
dessus l’autre pagne que celle-ci possédait et un vieux teeshirt bleu délavé et un morceau de pain emballé dans une
feuille de journal.
    Elle referma soigneusement le pagne, en noua les quatre
     bouts ensemble.
    Elle tira ensuite de son soutien-gorge, lentement, dans
une solennité pleine de regret et de dépit, un rouleau de
billets qu’elle glissa (sachant que Khady n’avait pas de
soutien-gorge ?) dans le haut de la culotte de Khady, passant brutalement ses doigts dans la ceinture du pagne et
coinçant les billets entre la peau, qu’elle griffa de ses
ongles jaunes, et l’élastique de la culotte.
    Elle ajouta un bout de papier plié en quatre qui renfermait, dit-elle, l’adresse de la cousine.
    — Quand tu seras là-bas, chez Fanta, tu nous enverras
de l’argent. Fanta, elle doit être riche maintenant, elle est
professeur.
    Khady se coucha sur le matelas qu’elle partageait avec
les enfants de sa belle-sœur.
    Son effroi était si grand qu’elle en avait des nausées.
    Elle ferma les yeux et tenta d’appeler à elle les songes crayeux et ondoyants qui la gardaient de l’intolérable contact avec la réalité dont elle-même faisait partie
avec son cœur affligé, anxieux, empli de remords et de
doute, elle tenta désespérément de se détacher de sa propre personne peureuse et faible mais les rêveries ce soir-là n’étaient pas de taille à lutter contre les intrusions de
l’existenceet Khady demeura avec son épouvante dans
un tête-à-tête dont nul travail d’indifférence ne put la
libérer.
    La belle-mère vint la chercher dès l’aurore, lui intima
muettement de se lever.
    Khady enjamba les corps de ses belles-sœurs étendues
sur un second matelas, et bien qu’elle ne souhaitât pas
entendre leurs voix railleuses et dures ni voir briller dans
l’aube grisâtre leurs yeux sans pitié, que les deux femmes
fissent semblant de dormir à l’instant où elle s’en allait
vers l’inconnu lui apparut comme un message fatal.
    Était-ce parce qu’elles étaient certaines de ne jamais
revoir Khady qu’elles préféraient s’éviter la peine de la
saluer, de lui lancer un coup d’œil, de lever la main vers
elle et de tourner de son côté une paume angélique et
brave ?
    Sans doute, c’était cela — Khady marchant vers sa
mort, elles préféraient dès maintenant ne plus avoir affaire
avec elle, mues par l’appréhension bien compréhensible de
se trouver unies si peu que ce fût à son sort funeste.
    Khady étouffa un gémissement.
    Dans la rue un homme attendait.
    Il était vêtu à l’occidentale, d’un jean et d’une chemisette à carreaux, et portait des lunettes de soleil miroitantes bien que le jour vînt à peine de se lever, de sorte
que lorsque Khady parut devant lui, poussée par la belle-mère d’une main impatiente, agacée, nerveuse, elle ne put
déchiffrer s’il la regardait, elle, menue et tourmentée, son
ballot serré sur sa poitrine ainsi qu’elle pouvait se voir
dans les deux miroirs de ses verres.
    Elle remarqua sa façon de se mordiller la lèvre inférieure,si bien que le bas de son visage, comme la mâchoire
d’un rongeur, était toujours en mouvement.
    La belle-mère lui tendit rapidement quelques billets de
banque.
    Il les fourra dans sa poche sans même les regarder.
    — Tu ne dois pas

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