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Trois femmes puissantes

Trois femmes puissantes

Titel: Trois femmes puissantes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie NDiaye
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serviraient-ils
à payer son passage vers ce lieu certainement funeste, terrible ?
    Son esprit s’affolait, revenant à la confusion évanescente dans laquelle il avait baigné mais sans la douceur et
la lenteur qui l’avaient protégé.
    Que devait-elle penser, que pouvait-elle comprendre ?
    Comment interpréter les indices de la malchance ?
    Elle se rappela très indistinctement une histoire de serpent racontée par sa grand-mère, une bête violente et invisible qui avait tenté plusieurs fois d’enlever la grand-mère
de Khady et qu’un voisin avait réussi à tuer bien qu’on ne
pût la voir, mais elle ne se souvenait de rien concernant les
corbeaux et c’était ce qui l’effrayait.
    Aurait-elle dû se souvenir de quelque chose ?
    L’avait-on déjà, autrefois, mise en garde ?
    Elle tenta de s’écarter un peu de son compagnon en se
serrant contre les deux vieilles femmes assises à sa gauche
mais la plus proche lui donna un coup de coude significatif, sans même tourner la tête.
    Khady essaya alors de réduire le volume de son corps
en pressant fortement contre elle son baluchon.
    Elle fixa des yeux la nuque rasée et plissée du chauffeur et s’efforça de ne plus songer à rien, s’autorisant
justeà noter qu’elle avait faim et soif à présent et pensant
avec désir au morceau de pain que sa belle-mère lui avait
emballé et dont elle sentait contre sa poitrine les bords
durs, et sa tête allait et venait de droite et de gauche, rudement ballottée au rythme des cahots de la voiture qui s’engageait maintenant sur une route large, creusée d’ornières,
dont Khady pouvait apercevoir entre la tête du chauffeur
et celle du passager de l’avant, à travers le pare-brise fêlé,
le déroulement rapide, berçant malgré les secousses, et
cette route était bordée de maisons de parpaings au toit de
tôle devant lesquelles becquetaient de petites poules blanches et jouaient des enfants alertes, maison et enfants tels
que Khady avait autrefois rêvé d’en avoir avec son mari
au visage doux, tôle brillante, blocs de ciment bien montés, cour propre et nette et enfants aux yeux vifs, à la peau
saine, qui seraient les siens et s’ébattraient sans peur au
ras de la route bien qu’il semblât à Khady que le capot de
la voiture allait les avaler comme il engloutissait la route
creusée d’ornières, rapide et large, et quelque chose en elle
voulait crier pour avertir du danger et supplier le chauffeur de ne pas dévorer ses enfants qui avaient tous le doux
visage de son mari mais à l’instant où les mots allaient
sortir de sa bouche elle les retenait, horriblement honteuse
et déconcertée car elle prenait conscience que ses enfants
n’étaient que des corbeaux au plumage hirsute qui picoraient devant les maisons et parfois hargneusement s’envolaient au passage des voitures, noir et blanc et belliqueux,
vers la branche basse d’un fromager, et que dirait-on si
elle s’avisait de vouloir protéger ses enfants-corbeaux, elle
qui, par chance, avait encore la figure et le nom de Khady
Demba et garderait son visage humain tant qu’elle serait
danscette voiture, tant qu’elle continuerait de fixer la
nuque rase et grasse du chauffeur et se tiendrait ainsi hors
de l’emprise de cet homme, de cet oiseau féroce au pied
léger, que dirait-on de Khady Demba, Khady Demba.
    Elle sursauta violemment au contact de la main de
l’homme sur son épaule.
    Déjà sorti de la voiture, il la tirait vers lui pour la faire
descendre tandis que les femmes la poussaient sans ménagement.
    L’une d’elles grondait que leur portière était bloquée.
    Khady mit pied à terre, encore endormie, maladroite,
quittant la suffocante chaleur de la voiture pour la touffeur
humide d’un lieu qui, s’il ne lui rappelait rien de précis,
ressemblait assez au quartier dans lequel elle avait vécu,
rues sableuses, murs roses ou bleu clair ou de ciment brut,
pour que s’éloignât d’elle la peur d’avoir été emmenée
dans l’antre aux corbeaux.
    D’un geste impatient l’homme lui fit signe de le suivre.
    Khady regarda vivement autour d’elle.
    Des échoppes encadraient la petite place où la voiture
s’était garée au milieu d’autres du même genre, longues,
cabossées, et une foule d’hommes et de femmes circulaient
entre les voitures en discutant les prix du trajet.
    Khady avisa dans un coin les deux lettres WC peintes
     sur un mur.
    Elle les montra

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