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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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devinssent
fanatiques. Bombardant et tuant des civils en masse et en détail, les
militaires israéliens développaient une fois encore contre eux-mêmes un racisme
virulent. On trembla dans les ministères mais d’autres images plus roses
couvrirent l’horreur : une petite Mauresque naquit dans la clinique de La
Muette. C’était la fille de la baronne d’Ati.
    La baronne se mettait à chaque seconde en vue afin qu’on
parlât d’elle ; sa fraîche célébrité, loin de lui peser, la ravissait au
point d’être devenue un besoin. En dépit de la Crise, quand les autres
ministres avaient été priés de mettre leurs mondanités en veille, elle était
toujours la cible des feuilles indiscrètes qu’elle provoquait en courant les
bals. On lisait Superstar à la Biennale des antiquaires sous son
portrait en robe de ce M. Prada qui, disait-on, habillait le Diable. Dès
qu’un objectif visait la baronne, elle le sentait par instinct avant d’élargir
un sourire éclatant, ce qui parfois fut jugé très déplacé, comme à la prison de
Valence qu’elle visita après le suicide d’un détenu de dix-neuf ans. Madame de
la Justice vivait entourée de miroirs. À la clinique, avant d’accueillir ses
sœurs ou des proches, elle faisait venir sa maquilleuse. Vite, on sut presque
tout de la petite Zohra, que son prénom signifiait Étoile du berger, c’est-à-dire
Vénus, qu’elle était Capricorne ascendant Bélier dans notre astrologie, sa
taille, son poids, sa venue prématurée, mais qui était le père ? La
question empoisonnait l’opinion depuis des mois à mesure que le ventre de la
baronne devenait plus rond. Celle-ci entretenait le doute et laissait filer les
échos pour demeurer au centre des parlotes. Avait-on remarqué une alliance
récente à son annulaire gauche ? On enquêta, des malins jetèrent des
noms ; l’ancien Premier espagnol, le caudillo Aznar, jura qu’il n’était
pas le père sans qu’on lui demandât rien, puis nièrent aussi l’un des frères de
Sa Majesté et le procureur général du Qatar qui s’entoura d’une batterie d’avocats
féroces ; désigné à son tour par la rumeur, l’insipide ministre des
Sports, M. de La Porte, s’en tira par une boutade grivoise et peu
goûtée ; à Londres, le Times ironisa : « Le pape Benoît n’est
pas le père. » Des fouineurs apprirent que la clinique de La Muette était
un centre de fécondation in vitro, ils se demandèrent si le père pouvait n’être
qu’une éprouvette.
    Quelques jours plus tard, sans prendre le congé auquel elle
avait droit, la baronne se présenta au Conseil des ministres afin qu’on ne lui
volât point son siège, ce dont le Prince était capable. On la vit grimper le
perron, svelte, en veste noire et talons aiguilles de chez Zanutti, et elle
posa devant les gazetiers pour qu’ils vissent son visage radieux. D’aucuns
évoquèrent le courage de la baronne, qui avait confié sa fille pour ne point
arrêter son travail ; d’autres s’en offusquèrent : « Faut
arrêter avec son courage ! dit une dactylo. Elle travaille pas à l’usine !
Elle se tape pas trois heures de transports en commun par jour ! Elle a
une femme de ménage, un cuisinier et plusieurs nourrices ! »
    La baronne se sentait harcelée. Elle imaginait un complot
pour la perdre et se durcissait ; volontiers cinglante comme Sa Majesté,
elle pouvait lancer à un collaborateur : « Je vais t’casser,
blaireau ! » Elle avait convoqué des chefs de la police pour qu’ils
interdissent des libelles sur son faste, ou qu’ils enquêtassent sur les auteurs
des médisances dont elle souffrait. On lui rapportait des mots définitifs sur
son incompétence, depuis qu’elle avait prouvé à l’Assemblée qu’elle ignorait la
Constitution. On lui en voulait, répliqua-t-elle, parce qu’elle accomplissait à
la lettre le programme impérial, ce qui était exact autant que dangereux puisqu’elle
avait ligué contre sa per sonne les magistrats, les gardiens de prison, les
juges, afin que Son Monarque Respecté pût décider seul avec ses procureurs de
la justice de l’Empire. Le Prince, déjà accoutumé à entendre dire beaucoup de
mal de sa ministre, était ébranlé par ses faux pas qu’il fallait corriger en
permanence. Il la regardait comme son choix, comme son ouvrage, dans tous ses
emplois jusqu’au comble où il l’avait portée et, dans ce comble même, comme sa
disciple. Cependant la baronne était à deux

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