Troisième chronique du règne de Nicolas Ier
plus
M. Obama au sujet de Notre Ébouriffant Leader, c’était sa manière de se
faire mousser, quand il dénigrait Johnny Walker Bush qu’il avait porté aux
nues, allant jusqu’au mensonge pour expliquer que celui-ci l’avait dissuadé de
rencontrer le tzar à propos de la Géorgie, or M. Obama savait qu’il l’avait
soutenu et encouragé. On ne pardonnait pas les bobards, aux Amériques, mais Sa
Majesté ne se résolvait point à ce qu’on décommandât un déjeuner à la dernière
minute, ou qu’on l’écartât d’une photo avantageuse près du nouveau vainqueur
qui, elle le répétait, finirait par se déconsidérer puisqu’il n’avait pas du
pouvoir l’expérience longue et raffinée de Notre Épatant Souverain.
Lorsque des Guadeloupéennes confièrent à une gazette que
M. Demota, qui menait une révolte à Pointe-à-Pitre contre le prix des
choses, était leur nouvel Obama, métissé comme lui mais de trois couleurs, le
Prince s’intéressa enfin à la paralysie de cette île qui durait depuis des
semaines. Il voyait des Obama partout, des Antilles à la Cité des Quatre-Mille
et même jusque dans son gouvernement où la princesse Rama lui tenait tête. Ses
Conseillers ouvrirent un atlas afin que le Prince, très crispé, pût
convenablement placer cette île litigieuse éloignée du Château de sept mille
kilomètres.
C’était autrefois la terre des fleurs et des ouragans, quand
les colons blancs s’en emparèrent, puis très vite celle du tabac, du sucre et
du café qui enrichissaient la métropole. Les Indiens du début, vêtus de palmes
et de bijoux, pêchaient le poisson à la main, cueillaient des fruits juteux qui
poussaient sans aide et boucanaient des gros lézards à la plus grande joie de
M. Jean-Jacques Rousseau, mais ils manquèrent de vigueur et ne purent
sauver leur paradis. Peu habitués aux travaux forcés comme aux travaux tout
court, ils disparurent et furent remplacés par des malabars ramenés d’Afrique
sur les navires marchands ; leurs maîtres les logeaient loin de chez eux,
dans des cases sans fenêtres et au-dessous du vent tant ils sentaient le bouc.
Ils n’avaient pas plus de droits qu’un vase ou une pelle. Ceux qui s’enfuyaient,
sitôt repris, on leur coupait une jambe et ils ne pouvaient plus s’échapper en
courant ; on les condamnait aussi au carcan, avec un bâillon frotté de
piment ; on leur déversait parfois sur la tête la bouillie brûlante des
cannes, avec les grandes cuillères des sucreries, ou bien on leur clouait l’oreille
contre un bananier. Les descendants de ces malmenés se sentaient encore
esclaves puisque l’esprit colonial se perpétuait sur l’île, mais leurs hantises
mal enfouies s’étaient réveillées sous forme de grève générale. À l’origine, Sa
Majesté s’en fichait et regardait au fenestron les cortèges noirs qui
scandaient en chantant leurs slogans, La Gwadloup sé tan nou, yo téké fè sa
yo vlé an péyian nou ; comme il n’y avait pas de sous-titres le Prince
ne s’alarma point de ce que criaient ces lointains, que leur île était à eux,
que les colons n’en feraient plus n’importe quoi.
Quand Notre Chétif Despote apprit qu’un kilo de pâtes s’achetait
87 % plus cher à Pointe-à-Pitre qu’à Paris, à cause des taxes et des
importateurs, il fit savoir que la concurrence était la solution, en omettant
de souligner la spéculation immobilière, la corruption, le chômage, la
pollution des terres agricoles. Et puis, si les fonctionnaires étaient mieux
payés qu’en métropole, sans diplômes, les diplômés de l’île, eux, n’avaient
guère l’espoir de dénicher un vrai travail, vigiles tout au plus dans une
grande surface.
Quand la tension monta, et que Notre Perspicace Leader vit
des images de voitures renversées qui barraient les routes en barricades, avec
des lampadaires et des baignoires enflammées, les Guadeloupéens devinrent des
voyous auxquels il envoya dix escadrons de gendarmes supplémentaires. Cela ne régla
rien, et, à l’égal de ce qui survenait dans nos banlieues de métropole, la
Crise exaspérant la misère, il y eut un tué avec une balle pour la chasse au
sanglier.
Quand on en fut arrivé à ce degré d’ébullition, Notre
Brûlant Souverain se souvint qu’il avait nommé un secrétaire à l’Outre-mer,
M. de Jégo, non point pour sa connaissance des palmiers, des plages et du
rhum, mais parce qu’il ne savait où le caser ailleurs. M. de Jégo
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