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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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doigts de sa perte. Un jour, elle
dut attendre dans un couloir du Château avant d’intervenir dans une discussion
que Sa Majesté tenait avec des syndicalistes de la magistrature. La baronne ne
put entrer qu’au bout d’une demi-heure, pour la figuration, découvrant à sa
place le comte Ouart qu’elle détestait et qui figurait en vice-ministre
officieux. C’était un joufflu avec une raie sur le côté de sa légère chevelure,
chargé de l’espionner et de réparer ses gaffes ; Sa Majesté lui avait
confié à propos de la baronne : « Elle a un moteur trop petit pour
monter la pente » ; le comte avait son bureau au Château, c’était lui
qui poussait le Prince à placer la Justice sous sa coupe. On peut juger de l’amertume
de la baronne ; elle devina le néant où elle allait retomber.
    Elle ne savait à qui s’accrocher, car en outre elle
déplaisait fort à Madame qui la regardait d’un œil noir, à cause des faveurs
que lui avait prodiguées l’ancienne impératrice dont elle se prétendit
longtemps la sœur, même si désormais elle l’avait rayée de ses relations. L’emmenant
visiter les appartements privés du Château, Madame lui avait fait comprendre qu’elle
ne profiterait jamais du grand lit de la chambre impériale, avec une voix
négligente. Cela faisait allusion aux galanteries que les courtisans prêtaient
à la baronne avant l’avènement de Madame ; celle-ci croyait aux bruits de
couloir et en restait courroucée. Une autre fois, comme la baronne avait appelé
le Vertigineux Monarque sur son appareil portable, ce fut Madame qui
décrocha : « Maintenant Nicolas est marié, il ne faut pas lui
téléphoner si tôt. » Malgré des embrassades pour la Cour et les gazettes,
les liaisons entre Madame et la ministre furent rompues. La baronne n’avait
plus qu’à être officiellement mise à l’écart du Château ; le Prince lui
envoya une lettre de cachet qui, la chassant de son ministère, l’exilait à
Strasbourg. La disgrâce , titraient les gazettes avec un bel ensemble. La
baronne d’Ati pensa s’évanouir ; elle se ressaisit, continua à faire bonne
figure quoiqu’en pinçant les lèvres, mais elle souriait à son portraitiste
personnel parce qu’il alimentait les feuilles mondaines de son image.
    Au printemps, des élections devaient expédier loin de Paris
de nouveaux députés européens. Ce fut une occasion pour le Prince d’éloigner
ceux qui d’emblèmes étaient devenus des boulets. Sa Majesté brandit alors l’Europe
comme un bagne pour ceux qu’elle voulait démettre au lieu de les embastiller.
Ainsi, malgré sa popularité dans l’opinion qu’elle devait à sa mine et à sa
couleur autant qu’à sa voix forte, la princesse Rama y fut condamnée comme la
baronne, mais, loin de plier, elle se rebella contre le dessein du Prince. Il
lui fallait un mélange de courage et d’inconscience pour déclarer en public qu’elle
préférait un mandat national. Notre Impétueux Souverain faillit s’en
étrangler ; elle lui envoya une boîte de chocolats en forme de cœur avec
un billet qui demandait de lui épargner les mines de sel. Depuis quelque temps,
la princesse Rama fatiguait Notre Supérieur par ses propos discordants. À la
Garde des Sceaux qui pensait fourrer en prison les délinquants de douze ans,
elle avait répondu qu’un enfant est un enfant, qu’il vaut mieux l’éduquer que l’enfermer.
Au chevalier Le Febvre qui comptait ficher dès trois ans les marmots violents,
elle expliqua qu’une vie fichée était une vie fichue. Lui avoir confié un
secrétariat aux Droits de l’homme, quelle erreur ! se lamentait le Prince.
Quelle erreur ! reprenait M. Kouchner, comte d’Orsay, en courtisan
impeccable ; la princesse dépendait de lui mais donnait des leçons sur la
Libye, la Chine, le Tibet, l’Afrique, à lui qui avait tant aimé les droits de l’homme
jusqu’à son entrée triomphante aux Affaires étrangères, un poste dont il avait
tant rêvé. Ce Transfuge favori de Notre Fougueux Monarque, après avoir
longuement renié son passé, s’était rendu avec facilité au réalisme monstrueux
de la politique quotidienne, serrant des mains sales mais tendues, se courbant
même devant quelques-uns qu’autrefois il combattait au nom de la morale.
« Diriger un pays, disait-il, éloigne évidemment d’un certain
angélisme. » Le comte n’était plus un ange et refusait de s’ingérer dans
les affaires d’autrui même

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