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Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Troisième chronique du règne de Nicolas Ier

Titel: Troisième chronique du règne de Nicolas Ier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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tout parce que, disait-il, on apprend plus sur le
terrain que derrière un bureau. Il se voulait pratique, proposa que le Parti se
nommât simplement le Mouvement populaire pour mieux appâter, et que son siège
déménageât dans un quartier moins riche et moins proche du Château. Il était
question de récupérer les ouvriers que le Parti social dégoûtait, fustiger les
spéculateurs pour rafistoler un capitalisme tout propret, et il fit huer un
patron qui venait de s’augmenter quand il supprimait cinq mille emplois. On
applaudit sans engager le moindre débat, lequel était verrouillé par des
discours.
    Nous avons déjà donné un portrait fouillé du baron Bertrand
et de sa feinte bonhomie dans la précédente chronique, mais il pouvait flancher
si on ne le surveillait pas, aussi, à ce rallié qui simulait l’abnégation et le
culte du maître, Notre Roublard Souverain attela son Premier écuyer, le
chevalier Le Febvre, pour porter et contrôler sa parole. Le chevalier soulevait
la méfiance des impériaux tant il était l’oreille et l’œil du Château. À l’Assemblée,
suppléant d’un ministre en exercice, il ne fit point florès, mais là n’était
pas sa place, laquelle n’était que de servir son prince par tous les moyens. Il
avait des yeux verts dans un visage gris, le nez en tubercule, les cheveux
mi-longs qui rebiquaient en un jeu de mèches mal domestiquées, des grigris au
poignet, des vestes en velours de belle coupe et de grand prix. Il disait n’aimer
que Sa Majesté et M. Gainsbourg dont il copiait le mal rasé, l’ironie
glauque et le goût juvénile de la provocation. Sa raillerie était d’autant plus
efficace qu’elle était plus salée, et il disait les choses les plus
désagréables avec volupté, d’une voix faible, chuchotée, ainsi que ces
professeurs qui baissaient le ton pour que leurs élèves prêtassent mieux l’oreille.
Il avait appris que choquer le poussait au-devant des gazettes, qu’on reprenait
ses hypothèses, le plus souvent pour s’en étouffer lorsqu’il vantait la
dénonciation comme une vertu, ou le travail à domicile des malades comme une
nécessité. Le chevalier Le Febvre était un Jean-Paul Marat né à droite, fils d’un
médecin de Neuilly ; il avait un naturel à faire trembler, fougueux,
sachant menacer, convaincu que Sa Majesté avait toujours raison et ayant pour
unique ambition de le faire savoir par une multitude de communiqués. Sa
mauvaise foi faisait peur sauf à Jean-François, grand-duc de Kahn, qui pensait
à rebours et troussait la formule. Le grand-duc fit en peu de mots et devant
lui un croquis si juste du chevalier que celui-ci en fut quelques secondes
pantelant. Goguenard, avalant ses phrases, le grand-duc lui avait dit :
« Les Français aiment les chiens, sauf les pitbulls, les roquets et les
caniches, or vous êtes les trois à la fois. » Eh oui, le chevalier
plantait ses crocs et ne relâchait sa proie qu’à demi dévorée, comme le
premier, aboyait en reculant comme le deuxième et comme le troisième se
couchait aux pieds du maître qui lui flattait le pelage. En mousquetaire, il
préférait créer des événements plutôt que les souffrir, mais il fut dépassé par
l’omniprésence planétaire du nouvel empereur d’Amérique.
    M. Obama fut sacré sur les marches du Capitole, à
Washington, dans un grand concours de peuple. Il prononça un discours très
évangélique pour dire que son pays était la terre promise et devait montrer la
voie au monde, délaissant l’Europe et oubliant la France, ce qui mit en rogne
Notre Prince, lequel ironisa comme on avait plaisanté naguère sur sa propre
investiture : « C’est fou, ça ! Ils sont au fond du trou, les
Américains, et personne ne demande combien elle coûte, cette cérémonie, et les
concerts, les bals… » Notre Sarcastique Leader regardait sur son écran la
foule en liesse et cherchait à y surprendre l’archiduchesse des Charentes qui
seule avait fait le déplacement parce que, disait-elle, les équipes de
M. Obama l’avaient rencontrée à Paris quand elle menait campagne contre Sa
Majesté, pour s’inspirer de ses méthodes. Notre Monarque Maximum voyait-il les
différences flagrantes entre M. Obama et lui-même ? Savait-il que l’Américain
avait gelé les salaires de ses conseillers quand lui augmentait les
rémunérations des siens ? Qu’il soulevait de la curiosité quand
M. Obama soulevait un espoir ? Ce qui insupportait le

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