Tsippora
À
l’évidence, son absence n’était pas passée inaperçue.
Elle rêvait de la fraîcheur d’une pièce et
d’une cruche d’eau qu’elle ferait couler sur son corps avant de changer de
tunique, la sienne étant désormais poisseuse de sueur. Craignant cependant la
présence d’Orma dans sa propre chambre, elle se dirigea vers la grande pièce
commune aux femmes. Elle allait l’atteindre, percevant déjà les cris des
enfants en train d’y jouer, lorsque son nom retentit. Sefoba, le visage
bouleversé, traversait la cour à sa rencontre, se jetait d’un bond dans ses
bras, la serrait contre elle avec des tremblements de poitrine en
marmonnant :
— Où étais-tu ? Où
étais-tu ?
Tsippora n’eut pas à répondre. Sans
reprendre son souffle, la douce Sefoba expliqua qu’on avait craint pour elle,
qu’on avait pensé aux fils de Houssenek, à toutes les horreurs dont étaient
capables ces sauvages pour se venger de la punition infligée la veille par
l’étranger, que la colère d’Horeb soit apaisée !
— Oh, ma Tsippora, si tu savais !
Je t’ai imaginée entre leurs mains, je ne pouvais m’en empêcher, je les voyais
en train d’achever ce qu’ils n’ont pu faire hier !
Tsippora sourit, caressa le front et la
nuque de sa sœur, baisa ses joues humides et évita d’avancer un mensonge en lui
assurant que non, il ne lui était rien arrivé de terrible, qu’il n’y avait pas
de quoi se mettre dans tous ses états.
Sefoba n’eut pas le temps de l’interroger
davantage, un ricanement retentit dans son dos :
— Bien sûr que non ! Bien sûr
qu’il ne s’est rien passé de terrible ! Sois sans crainte, Tsippora,
Sefoba est bien la seule, ici, à avoir eu cette sorte d’imagination.
Orma, dans toute la beauté de sa fureur,
attrapa Tsippora par le bras et la détacha de Sefoba. Le venin de la jalousie
tirait ses traits tandis qu’elle pointait le menton.
— Là où tu étais, tu ne risquais rien,
n’est-ce pas ? Et surtout pas la vengeance des fils de Houssenek !
Qu’elle eût deviné d’où venait Tsippora, il
n’en fallait pas douter. Orma n’était sotte que pour certaines choses.
Toutefois, Tsippora se contenta de répliquer d’une voix calme :
— Réba est-il déjà reparti ?
Déconcertée, Orma plissa les paupières
comme pour distinguer une ruse qui viendrait de loin. Mais elle ne discerna que
l’éblouissement de la cour et battit l’air des mains.
— Que nous importe Réba ?
— Elle lui a rendu le tissu ce matin,
soupira Sefoba.
— Tu lui as rendu le tissu ?
s’étonna Tsippora, sincèrement stupéfaite.
— Le tissu ! Voilà à quoi tu
songes. Dois-je me marier pour un bout de tissu ?
— Tu semblais très fière de le porter,
hier soir.
— Oh, il me convenait ! C’était
un beau tissu. Pour danser. Seulement pour danser. Je l’ai mis et j’ai dansé.
Bien. Et puis après ? La nuit est la nuit. À la lumière des torches, il
avait de belles couleurs. Ce matin, à la lumière du jour, je me suis rendu
compte que je n’en avais plus le goût. Il ne me plaisait plus du tout. Je l’ai
rendu à Réba, et voilà. Bien sûr, si tu avais été là, tu m’en aurais empêchée.
Orma souriait, fière de sa provocation.
Sefoba sécha ses larmes d’un revers de poignet et lui adressa une grimace.
— Réba en a été si humilié, dit-elle,
qu’il a tiré son couteau et a déchiré cette merveille en petits morceaux. Il a
demandé ses chamelles et a salué notre père sans même ouvrir la bouche. Notre
pauvre père était déjà malade d’avoir trop bu cette nuit. Tu imagines ce qu’il
a pensé de tout cela. Et, c’est vrai, toi qui n’étais pas là…
Elle s’interrompit pour adoucir ces
derniers mots d’un sourire :
— Les bouts de tissu, je les ai
récupérés. Ils sont sous ma couche.
— Je me fiche de Réba, grommela Orma,
qui sentait la dispute lui échapper. Nous ne parlons pas de Réba. D’ailleurs,
tout cela est de ta faute, Tsippora.
— Ma faute ?
— Ne fais pas cette tête. Tu as trouvé
où se cache l’Égyptien, n’est-ce pas ?
L’hésitation de Tsippora fut un aveu.
— J’en étais sûre, triompha Orma.
Voilà d’où tu viens !
— Est-ce vrai ? Tu es allée le
voir ?
La surprise de Sefoba, teintée d’une ombre
de reproche, embarrassa plus Tsippora que les criaillements d’Orma.
— Oui, admit-elle enfin.
Orma, qui jusque-là n’était peut-être pas
si certaine de
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