Tsippora
leurs chevelures et leurs
barbes, l’une blanche et abondante, l’autre noire et courte, à bien les
distinguer. Comme Jethro, Hobab semblait chétif. Pourtant, chacun dans Madiân
le savait capable d’endurer les plus longues traversées des déserts. Nul mieux
que lui ne savait se diriger dans les mortelles vallées de sable ou de pierres
d’Eçyon ou du Néguev, dans les replis calcinés de la montagne d’Horeb. Il ne
possédait certes pas la sagesse et l’intelligence aiguë de Jethro, mais son
père, avec grand orgueil, affirmait :
— Hobab connaît la force du désert et
la puissance de la montagne d’Horeb. Cela vaut bien des sagesses.
Enfin, le front plissé, se chauffant les
mains au rougeoiement du foyer, il dit :
— Il y a bien une raison. Un homme ne
disparaît pas ainsi sans raison. Surtout cet homme-là.
Hobab considéra son père avec un
demi-sourire. Son regard glissa jusqu’à ses sœurs. Orma se tenait un peu en
retrait, affichant une indifférence excessive.
— Un homme pas comme les autres,
approuva enfin Hobab, sans se départir de son sourire. Et qui semble vous
préoccuper beaucoup, toi et mes sœurs !
— Parle pour eux, pas pour moi !
protesta Orma. Moi, il y a longtemps que je me suis fait une idée sur
lui : l’esclave égyptien ! Qu’il ait disparu sans un merci n’a rien
d’étonnant. Il nous est arrivé comme un chien fou du désert. Il y serait resté
si Tsippora et notre père ne s’étaient entichés de lui !
Sefoba secoua la tête en soupirant. Jethro,
comme s’il n’avait rien entendu, détacha un peu de viande de l’agneau rôti
disposé devant lui et entreprit de mâcher avec application. Tsippora ne sut pas
montrer tant de désinvolture :
— L’avez-vous bien accueilli, toi et
les tiens ? demanda-t-elle d’une voix vibrante.
— Avec autant d’égards que nous le
devions, puisqu’il se recommandait de notre père.
— Il t’a dit qui il était ?
persifla Orma.
Hobab prit le temps d’une longue gorgée
avant de répondre avec tendresse :
— Orma, beauté de nos jours, ne sois
pas si grimaçante. Je sais tout ce que tu sais de lui. Je sais aussi qu’il te
trouve belle et qu’il regrette beaucoup de t’avoir déçue en n’étant prince
d’Égypte.
— Il m’a déçue ? Écoutez-moi
ça !
— Je l’ai vu dans le désert, je l’ai
vu avec nous le soir, à la chasse ou avec les forgerons, poursuivit Hobab sans
se soucier des glapissements d’Orma. De lui-même, il nous a parlé de l’Égypte
et des raisons qui l’ont fait fuir. J’ai aimé cette manière de poser sans
détour sa vérité devant lui. Je suis heureux que tu lui aies accordé ta confiance,
mon père. Ce n’est pas dans mes habitudes, mais l’envie de m’en faire un ami
m’est venue bien vite. Cependant, c’est ainsi : il est parti sans un
adieu.
— Peut-être ne comptait-il pas
s’éloigner bien longtemps ? suggéra Tsippora.
— J’en doute, ma sœur.
— Et pourquoi ?
— Des forgerons de retour des
carrières de la montagne d’Horeb se sont joints à notre caravane avant-hier.
Ils ont aperçu la silhouette d’un homme seul sur un chameau à l’écart de la
route d’Yz-Alcyon.
— Vers l’ouest, marmonna Jethro.
— Oui, droit vers le couchant. Les
forgerons ont d’abord pensé qu’il s’agissait d’un voleur de métal qui cherchait
leur carrière. L’un d’eux a rebroussé chemin et l’a suivi presque une
demi-journée. Bien sûr, on ne peut certifier qu’il s’agisse de Moïse.
Il y eut un silence, chacun songeant à ce
qui venait d’être dit. Hobab mangea un peu de viande, puis ajouta d’une voix
pensive :
— En s’écartant de la route
d’Yz-Alcyon, s’il ne se perd pas, s’il ne tombe pas d’une falaise, il peut
contourner la montagne et atteindre la mer des Joncs. Un très long voyage,
cependant, très incertain pour un homme seul.
— Alors, c’est qu’il retourne en
Égypte ! s’exclamèrent ensemble Tsippora et Sefoba.
— Oui, approuva Jethro. L’Égypte, bien
sûr !
— Bien sûr ? intervint Orma. Pourquoi
bien sûr ? S’il a tué, pourquoi retourner en Égypte ? Pour se faire
punir ?
Jethro fit claquer sa langue :
— Moïse est en route pour l’Égypte.
Peut-être même, à cette heure, est-il sur une barque au beau milieu de la mer
de Pharaon.
— S’il sait ménager son chameau, dit
Hobab.
— Vous ne répondez toujours pas,
grinça Orma. Que va-t-il
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