Tsippora
qui l’enlaçaient. Pas plus qu’elle ne
s’appuya contre le corps dont elle conservait la marque du désir en chaque pore
de sa peau. Elle ne cessa d’observer l’horizon où la rive d’Égypte demeurait
invisible. Elle resta droite, immobile, silencieuse. Si bien que Moïse dénoua
ses bras et s’écarta. L’inquiétude au front, il fit un pas de côté pour mieux
la voir. Elle demanda :
— Que disais-tu à ton dieu hier ?
La déception de Moïse s’accentua. Sans
quitter la mer des yeux, Tsippora tendit la main. Elle frôla la poitrine de Moïse,
caressa son ventre, glissa la pointe de ses doigts sur son sexe avant de
chercher sa main, de la serrer en répétant d’une voix très douce :
— Hier, tu priais pour ta mère. Je
voudrais connaître les mots que tu lançais dans la mer.
— Je ne suis pas sûr de savoir les
dire dans la langue de Madiân.
— Mais si, tu le sais.
Il hésita. Elle imprima une petite secousse
d’impatience à sa main. Moïse, tout comme elle, tourna les yeux vers la rive
invisible de l’Égypte :
— Je suis une Momie parfaite,
Je suis une Momie qui vit en toute
vérité, Je suis pur, je suis pur,
Voici mes mains, voici sur mes paumes le
cœur de ma mère,
Il est pur, il est pur.
Qu’il soit pesé ce cœur, dans la balance
de Vérité, Je suis une Momie nourrie de vérité, je n’ai pas connu la dureté du
cœur, j’ai donné l’eau fraîche à qui avait soif et le froment à qui en
manquait, le lin à qui allait nu.
Ô formes d’Éternité, couvre de tes ailes
l’œuf d’une douce mère.
Les larmes perlaient aux paupières de
Tsippora. Sans lâcher sa main, Moïse se plaça tout contre elle.
— Ce n’est pas que je vénère le
pouvoir d’Amon ni celui des autres dieux d’Égypte. Je ne leur appartiens plus
et leur ciel n’est plus pour moi. Cette prière accompagne la barque qui emporte
le défunt vers le ciel des renaissances. Hatchepsout ma mère était très fidèle
à Amon.
Une larme atteignit les lèvres de Tsippora,
limpide, toute transparente du jour sur le sombre de sa peau. Elle attendit que
sa gorge se dénoue et murmura :
— Ma mère est morte sur cette mer en
me conduisant jusqu’aux bras de Jethro.
Moïse l’observa, attendant qu’elle en dise
davantage, prêt à écouter. Mais elle se tourna vers lui et déclara :
— Tu avais raison de vouloir repartir
pour l’Égypte, ta place est là-bas.
Elle l’aurait frappé, il n’aurait pas été
plus stupéfait. Il lâcha sa main, s’écarta.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
Il paraissait soudain bien plus nu. Elle,
elle lui souriait sans répondre, un sourire de patience.
— Tsippora ! Ma place est ici,
avec toi et près de ton père. Qu’ai-je à faire de l’Égypte ?
— En tuant le contremaître, tu as
commencé ta bataille contre Pharaon. Tu dois continuer.
Elle parlait d’une voix nette. La voix qui
déplaisait tant à sa sœur Orma. Moïse la fixa, plein d’incompréhension. La
douleur commençait à lui tirer les traits.
— Tu me chasses ? Après cette
nuit ? Je te l’ai dit, je vais aller avec toi à la cour de Jethro. Ce
matin même, sur le chameau qu’il m’a offert. Je lui parlerai. Je vais reprendre
ma place sous le sycomore de la route d’Epha…
Elle secoua la tête. Moïse tendit le bras
en direction de la cour de Jethro :
— Je vais lui dire : Jethro,
donne-moi ta fille Tsippora pour épouse ! Elle est le sarment de ma vie
future. Je serai ton fils et te rendrai au centuple tout ce que tu m’as donné…
— Moïse…
— … Je ferai croître mon
troupeau. Je parcourrai tous les pâturages de Madiân. Je vendrai les bêtes
l’hiver prochain. Nous aurons plusieurs tentes. Tu seras Tsippora, l’épouse de
Moïse, une femme respectée. Il ne sera plus question de Kouchite. Plus personne
n’osera lever la main sur toi !
Il aurait pu parler jusqu’à en perdre le
souffle. Elle appuya ses deux mains contre sa poitrine.
— Moïse ! Moïse ! Ne te mens
pas ! Tu sais qui tu es désormais. Tu n’es pas rien, comme le prétend ton
faux frère d’Égypte. Tu es un Hébreu. Un fils d’Abraham et de Joseph.
— En quoi cela t’importe ?
cria-t-il. En quoi cela t’importe : tu ne l’es pas toi-même !
Elle vit de l’effroi dans le doré de ses
yeux. Comment avait-on pu instiller tant de crainte dans un homme comme
lui ? Elle agrippa de ses ongles la poitrine de Moïse, colla ses hanches
contre les
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