Tsippora
brise les pierres où il est écrit, on abat ses
statues et on détruit ses temples. Elle-même est morte sans qu’un tombeau ne
soit donné à la barque qui devait la conduire près d’Amon. »
Tsippora tressaillit. La voix de Moïse
s’était éteinte sur ces derniers mots. Avec stupeur, elle entendit un sanglot.
Moïse était déjà debout, le visage à la frontière de l’ombre. Il lui tourna le
dos, marcha nerveusement jusqu’au bord de la falaise et se mit à crier, face à
la nuit et au vent :
— J’ai grandi et été aimé dans l’ignorance
de ces esclaves qui bâtissaient les palais où je dormais. J’ai cru que j’étais
un homme que je n’étais pas. Je ne suis rien ! Thoutmès a raison. Mais
ceux de mon peuple… Oh, ceux de mon peuple ! Comment peuvent-ils vivre ce
qu’il vivent ? Comment peuvent-ils le supporter ?
Tsippora se leva. La couverture tomba de
ses épaules. Elle sentit à peine le froid. Moïse lui fit face. Les flammes
faisaient briller les larmes sur ses joues, ses yeux agrandis de fureur. Il
ouvrit encore les bras pour hurler, mais à cet instant un grondement martela
l’air. Un long et sourd roulement qui paraissait venir du fond de la grotte
tout autant que de la mer. Un son épais, féroce et puissant qui revint, roula
sur lui-même, leur tirant un cri d’effroi. Puis cela cessa.
D’une voix étranglée, Tsippora
chuchota :
— Horeb !
Et cela revint, telle une plainte née au
cœur de la falaise. Cette fois, il sembla que les roches répondaient d’un
frémissement.
— Qu’est-ce ? interrogea Moïse
d’une voix blanche.
— Horeb, répéta Tsippora d’un ton plus
apaisant. Horeb parle. Horeb dit sa colère.
La bouche grimaçante, Moïse se tourna vers
l’obscurité, puis à nouveau vers Tsippora. Elle avait croisé les mains sous sa
poitrine, offrant ses paumes et fermant les paupières. Ils se turent, guettant
le silence.
Il n’y eut plus que le bruit du vent et du
ressac.
Ils écoutèrent encore, percevant dans
l’obscurité le vide immense où avait roulé la colère d’Horeb. Le grondement ne
revint pas. Tsippora se détendit, elle sourit :
— Ce soir, sa colère est courte.
Peut-être t’a-t-il entendu et te répondait-il ? Peut-être ta colère
est-elle la sienne ?
Moïse la regarda avec suspicion. Se
moquait-elle de lui ?
— Non ! Horeb n’est pas mon dieu.
Je n’ai pas de dieu. Qui est le dieu des Hébreux ? Je ne le connais pas.
— Je t’ai vu prier pour celle qui fut
ta mère, protesta doucement Tsippora.
Moïse haussa les épaules. La tension de son
visage s’estompa.
— Je ne m’adressais pas à Amon, mais à
elle. Elle ne trouva rien à répondre. À présent elle sentait le froid du vent à
travers sa tunique. Moïse lui, ne paraissait pas s’en soucier. Elle songea à la
chaleur qui l’envelopperait s’il la prenait dans ses bras. Il s’avança, mais
elle ne put s’empêcher de reculer. Il s’immobilisa et dit :
— Maintenant, tu sais qui je suis. Je
ne t’ai rien caché. Mon visage est nu, autant que mon âme.
Elle recula encore, jusqu’à ce que ses
épaules heurtent la roche.
— Et moi, dit-elle. Sais-tu qui je
suis ?
— La fille de Jethro.
Elle rit. Elle tendit les bras et les mains
pour que leur couleur se confonde avec l’obscurité.
— Le crois-tu vraiment ? Avec
cette peau ? Avant qu’elle pût réagir, il emprisonna ses doigts et
l’attira contre lui :
— Tu es Tsippora la Kouchite, celle
que Moïse a tirée des mains des bergers, au puits d’Irmna. Tu es celle qui sait
toujours où me trouver et qui m’a apporté de la nourriture sans savoir qui
j’étais.
*
* *
Ils étaient plaqués contre la paroi, le
souffle court, le visage déformé par le vacillement des flammes. Malgré les
arêtes de roche qui s’incrustaient dans ses fesses et ses épaules, Tsippora ne
sentait que le corps de Moïse pressé contre elle. Ce qui arrivait, elle l’avait
souhaité avec autant de peur et d’ardeur que l’on met à vouloir vivre et mourir
dans le bonheur. Elle songea à le repousser, mais elle se mentait. Elle
l’écoutait qui répétait :
— Tu sais qui je suis ! Ô
Tsippora, ne me regarde pas comme si j’étais un prince d’Égypte ! Ne sois
pas comme ta sœur ! Je ne possède rien ! Un Hébreu sans dieu et sans
famille à qui ton père a offert son premier chameau et ses premières têtes de
bétail. Toi, tu es riche de tout, et moi je ne suis
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