Tsippora
siennes.
— Hier soir, souffla-t-elle, quand tu
hurlais contre le vent, tu ne pleurais pas ta mère Pharaon. Tu criais de colère
contre la souffrance des esclaves. C’est cela qu’a entendu Horeb.
— Allons donc ! de quoi
parles-tu ? Horeb n’est pas mon dieu, il m’ignore.
— Ne blasphème pas ! Tu ne
connais rien d’Horeb. Il est colère et justice. Et toi, tu es né parmi les
esclaves, mais tu as acquis le savoir et la force de Pharaon. Pourquoi as-tu
tué le contremaître, sinon ?
Moïse la repoussa et cria de nouveau.
— Balivernes ! Tu ne sais rien de
la puissance de Pharaon. Tu ne sais rien de la cruauté de Thoutmès ! On ne
lutte pas contre le désigné d’Amon !
— Je sais que tu dois mettre tes
bracelets d’or et aller parmi ceux qui sont ton peuple. Tu dois retenir le
fouet qui les frappe.
— Allons donc ! j’ai tué un homme
parce que j’étais en colère ! et j’ai fui comme un petit garçon. Voilà la
vérité. Il n’y en a pas d’autre. Aucun homme ne peut retenir le fouet de
Pharaon. Tu ne sais pas de quoi tu parles !
Elle le laissa hurler sans répondre. Son
silence accrut sa fureur.
— Pour qui me prends-tu ? Je te
l’ai dit, je ne suis pas un prince. Je te croyais moins sotte que ta sœur. Ne
veux-tu donc pas voir celui que je suis ?
Les cris de Moïse résonnaient contre la
falaise. Tsippora saisit ses poignets :
— Je sais qui tu es ! Je t’ai vu
en rêve avant même de te rencontrer. Je sais qui tu es et qui tu peux devenir.
Le temps qui t’attend n’est pas dans les pâturages de Madiân.
Le rire de Moïse se prolongea, soudain sans
plus de colère, aigu de moquerie. Il secoua la tête, tira les mains de Tsippora
jusqu’à ses lèvres pour les baiser.
— Ah ! Si ton père Jethro ne
t’accordait pas tant de confiance, je croirais que la femme que je veux pour
épouse est non seulement kouchite, mais aussi un peu folle.
Tsippora se dégagea sèchement. Son regard
était aussi noir que sa peau.
— Si tu ne me crois pas, il est
inutile que tu retournes à la cour de mon père.
— Tsippora ! Comment peux-tu être
si sûre de mon avenir ?
— Je te le répète. Je t’ai vu en rêve.
Tu es de ceux qui sauvent la vie lorsqu’elle menace d’être engloutie.
Moïse secoua la tête. L’ironie lui
demeurait aux lèvres.
— Raconte-moi ce rêve.
— C’est inutile. Tu ne pourrais le comprendre.
Elle l’évita pour s’engager sur le chemin
de la falaise. Moïse l’arrêta, la main posée sur son ventre.
— Ne me repousse pas !
Raconte-moi ce rêve. Laisse-moi aller devant ton père.
Elle écarta son bras, sans dureté, ne
pouvant s’empêcher de glisser une caresse sur la joue, où la barbe pointait à
peine.
— Comprends d’abord qui tu es.
— Je le sais ! Je ne suis plus
personne. Ceux qui fuient devant Pharaon perdent jusqu’à leur ombre !
— Alors, moi non plus, je ne suis
personne. Ma peau est couleur d’ombre et, bien que tu m’aies prise, nous ne
serons jamais époux. Les ombres ne s’épousent pas.
La colère d’Horeb
— C’est ce que tu lui as dit ?
Vraiment ? Tu ne vas pas l’épouser ?
La voix de Sefoba était pleine
d’incrédulité. Le regard de Jethro aussi. Un reproche s’y ajoutait, que le
vieux sage tentait d’atténuer.
Dès son retour, alors que chacun avait le
nez levé vers les nuées qui bouillonnaient au sommet de la montagne d’Horeb,
Tsippora était allée droit vers son père. Elle lui avait révélé la vérité sur
Moïse, comment il avait été le fils de Pharaon avant d’être l’Hébreu banni par
la haine et la jalousie de son faux frère.
— Sa colère contre l’injustice de
Pharaon est plus grande qu’il ne le croit, avait-elle ajouté. La seule pensée
des souffrances infligées aux esclaves le fait hurler de rage. Il l’a fait, il
a hurlé, et Horeb a grondé avec lui. Mais il ignore tout d’Horeb, et il a peur.
Ses sœurs étaient accourues pour écouter.
Jethro ne les avait pas écartées. Orma avait demandé :
— Tu as dormi là-bas ? Dans la
grotte. Près de lui ? La voix de Tsippora n’avait pas faibli. Les yeux
dans les yeux de Jethro, elle avait répondu :
— Il a voulu me prendre et j’ai été
heureuse de le laisser faire.
L’ébahissement les laissa sans voix.
— Moïse est comme aucun autre homme,
disait-elle. Je le sais. Je le vois sur son visage et je le sens quand je suis
près de lui. Pourtant,
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