Tsippora
beaucoup à Réba à l’avance ! Tu
n’auras pas la plus douce non plus, car son mari ronfle déjà à côté de nous. Il
te reste la plus savante et la plus vive. Tu verras, cela t’occupera assez pour
que tu ne te soucies d’aucune autre. Moïse ne put s’empêcher de rire avec lui.
*
* *
Le vent soufflant de l’est ne faiblit pas,
les grondements de la montagne s’espacèrent. Le soleil put transpercer les
nuées, moins épaisses, créant ainsi d’étranges crépuscules, comme si le ciel
d’ouest tout entier était désormais sale et ensanglanté.
Sans prendre de repos, Jethro avait
accompli sacrifice sur sacrifice. À sa demande, Tsippora était demeurée près de
lui, l’assistant lors des offrandes d’orge et de vin, broyant les farines,
faisant cuire selon les rites les galettes, ouvrant les fruits, remplissant les
cruches d’huile. Elle ne s’écarta que lorsqu’il ouvrit la gorge des agneaux et
des veaux de l’année, trancha la poitrine de vingt colombes.
Pas un instant, elle ne cessa de songer à
Moïse. Elle savait qu’Hobab l’avait accueilli et pris avec lui, ainsi que
l’époux de Sefoba, pour rechercher les bêtes enfuies. Elle en fut emplie de
gratitude pour son frère aîné. C’était là une manière discrète de montrer à
tous sa confiance et son affection pour le fils de Pharaon.
Elle apprit qu’ils étaient de retour et
craignit de ne pas résister au désir de rejoindre Moïse sous sa tente à nouveau
dressée sous le sycomore. On lui raconta comment Orma avait fait honte à Hobab
qui la conduisait chez Réba : passant devant la tente de Moïse, en larmes
et hurlante, elle l’avait supplié de la suivre. Moïse l’avait considérée sans
un mot, sans un geste d’apaisement, avant de rentrer sous sa tente. Depuis, on
ne l’avait plus revu, car il était parti avec Sicheved visiter les puits et
s’assurer que les cendres ne les avaient pas infestés.
Enfin, le troisième matin, alors que la
montagne avait cessé de gronder depuis la veille, Sefoba rejoignit Tsippora. En
compagnie des servantes elle lavait des vêtements abandonnés à leur crasse tant
que l’on n’avait pas été certain de disposer de suffisamment d’eau.
Sefoba, les joues roses et le sourire
radieux, s’agenouilla au côté de Tsippora. Elle posa sur un panier la tunique
qu’elles avaient tissée ensemble pour Moïse et considéra Tsippora.
— Tu as l’air épuisée. Laisse-moi
prendre ta place et va te reposer un peu.
Tsippora lui retourna son regard.
— Si j’en crois tes cernes, tu ne
semblés guère plus fraîche que moi.
Sefoba gloussa.
— Sicheved est rentré hier soir. Il
faisait nuit, il avait faim, soif et était tout grognon ! Ah ! les
hommes… Horeb gronde et crache, mais, nous autres, on ne s’occupe pas assez
d’eux ! Toute la nuit il m’a fallu le rassurer sur mon amour.
Elles éclatèrent de rire. Avant que leur
joie ne retombe, Sefoba attrapa la main de Tsippora et la posa sur la tunique,
chuchotant :
— Moïse vient d’arriver dans la cour.
Il est avec notre père. Va donc te reposer et te faire belle pour lui offrir
cette tunique quand ils t’appelleront.
Tsippora se raidit.
— Allons ! murmura doucement
Sefoba. Oublie ce que tu nous as dit. La colère d’Horeb est venue et est
passée. Apaise-toi. Nous en serons tous si heureux !
*
* *
Jethro accueillit Moïse du mieux qu’il put,
compte tenu de la confusion qui régnait encore dans sa cour. Il le fit asseoir
près de lui sous la tonnelle, réclama aux servantes des cruches de bière, des
gobelets et de quoi manger. Ils burent et se restaurèrent, observant les nuages
blancs qui désormais emprisonnaient le sommet de la montagne. En larges
rouleaux, ils montaient droit dans le ciel, où un souffle les poussait encore
et toujours vers le couchant.
Le visage de Jethro était tiré de fatigue,
mais son regard luisait de ruse. Pharaon verrait bientôt son ciel s’obscurcir
et ses récoltes en seraient peut-être moins riches. Moïse avait-il déjà assisté
à cela du temps où il vivait au pays du Grand Fleuve Itérou ?
Moïse éluda la question. Il voulut au
contraire dire tout ce qu’il avait à dire au sujet de Tsippora. Mais après
trois phrases, les mots qu’il avait longuement pesés lui manquèrent. Il
soupira, furieux et honteux :
— Tu vois ! Je croyais avoir fait
un peu de progrès dans la langue de Madiân. Il suffit que ce que j’ai à dire
soit important et
Weitere Kostenlose Bücher