Tsippora
ai cherché le sens. À ton arrivée, j’ai enfin compris sa
signification. Horeb s’est levé en grondant pour saluer ta venue parmi nous. Il
te parle.
— Allons donc ! se moqua Moïse.
Est-ce la sage fille de Jethro que j’entends ou une vieille commère
superstitieuse ?…
Tsippora se redressa, raidie, les lèvres
tremblantes.
— Alors, écoute cela : aussi
vieille que je vivrai, aucun autre homme que toi ne me touchera ni ne sera mon
époux. Mais toi, tu ne seras le gendre de Jethro que le jour où tu prendras le
chemin d’Égypte.
— Tu sais bien que cela ne se
peut !
Il avait crié. Jethro attrapa prestement
les mains de l’une et de l’autre.
— Tout doux, tout doux… affirmer
aujourd’hui ce qui peut être faux demain ? La vie est faite de temps, et
l’amour aussi.
Le premier fils
Jethro avait dit « Prenez votre
temps », et ce fut un drôle de temps qui commença. Durant plus d’une
année, Tsippora et Moïse allèrent de disputes en apaisements.
D’abord, ils s’évitèrent avec soin durant
des jours et des jours. Puis, lors d’une nuit de pleine lune, le sol frémit à
nouveau. La cour de Jethro fut en émoi, chacun se précipita dans l’obscurité du
dehors, yeux et oreilles aux aguets. On entendit de faibles grondements,
presque doux. Une lueur rosâtre dessina un gigantesque halo au sommet de la
montagne. On craignit que les temps de la colère ne reprennent, et les hommes
restèrent à veiller. Sous le sycomore, Moïse aussi était debout devant sa
tente. Il ne découvrit la silhouette de Tsippora que lorsqu’elle fut toute
proche.
Sans un mot, ils demeurèrent le visage levé
vers la montagne. Tsippora finit par dire tout bas :
— Écoute, écoute ! Horeb te
parle.
Moïse eut un rire de fond de gorge. Il se
tourna vers elle. L’un et l’autre tremblaient de désir. Moïse caressa l’ourlet
fin qui dessinait les lèvres de Tsippora.
— C’est ta bouche qui me parle. C’est
elle que je veux entendre. Son silence dévore mes nuits.
Les doigts de Moïse glissèrent de ses
lèvres à son cou, puis au creux de sa gorge. Tsippora lui saisit le poignet
comme pour le repousser. Elle ne put que s’agripper à lui et recevoir le
souffle de son baiser.
Il ne fallut pas longtemps pour que leurs
caresses les poussent sous la tente, ventre contre ventre et insouciants de
tout ce qui n’était pas leur plaisir.
Au matin, à Sefoba qui avait deviné cette
rage d’amour et la lui reprochait, Tsippora répondit en riant que c’était
peut-être cette rage-là qui avait apaisé Horeb. De fait, à l’aube, Moïse
s’était réveillé seul sous la tente. Il en avait surgi en criant le nom de
Tsippora. Effrayés, les oiseaux qui nichaient dans le sycomore s’égaillèrent en
piaillant dans un ciel limpide et bleu jusqu’aux confins. C’était à peine si
des filets de fumée dansaient encore sur le sommet de la montagne. Horeb ne
grondait plus. Jamais Madiân n’avait paru plus paisible.
Avant le soir, Moïse se présenta devant
Jethro. Il lui posa la question qu’il avait posée à Hobab au jour de cendres :
— Pourquoi sacrifiez-vous à Horeb
plutôt qu’au Dieu d’Abraham, puisque vous êtes de ses fils ?
Jethro approuva la question d’un hochement
de tête. Il marqua un temps de réflexion avant de répondre par une autre
question :
— Sais-tu qui était le dieu d’Abraham
et de Noé ?
— Non. J’ai seulement entendu des
Hébreux, en Égypte, gémir et se plaindre qu’il les avait abandonnés.
Jethro soupira.
— Il nous a abandonnés car nous
n’étions plus dignes de Sa confiance. Il y a longtemps, très longtemps, Il a
offert Son Alliance à Abraham. Il lui a dit : « Va, Je ferai de toi
une grande nation, Je porterai haut Mon Alliance entre Moi et toi et tes
enfants et tous leurs enfants…» Abraham s’est incliné et il a engendré des fils
et des nations. Ainsi, il fut un temps où partout, aux quatre lignes de
l’horizon, des hommes et des femmes étaient protégés par le dieu d’Abraham,
qu’ils nommaient l’Éternel. Mais les générations ont passé et les hommes sont
devenus les hommes, semant la haine et la méchanceté tout autant qu’il y a de
nations, de fils et de frères. En retour de Son Alliance, ils n’ont offert au
Dieu d’Abraham que du sable. Alors l’Éternel s’est retiré plein de colère.
C’est ce qu’il nous reste de Lui aujourd’hui. Cette colère qui gronde au-dessus
de nous et
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