Tsippora
côté de son époux bien-aimé. Depuis longtemps, et de
toutes ses forces, elle avait voulu vivre ces jours. Ce n’était plus un rêve
qui la poussait, mais l’impatience de ce qui allait être accompli au pays de
Pharaon. Qu’importaient la monotonie des jours, le balancement nauséeux des
chameaux pareil à une houle sans fin, la brûlure du soleil, la glace des
nuits ! À l’horizon des plaines mornes qui s’étendaient chaque matin sous
ses yeux se levait la grandeur de la mission confiée par Yhwh à son époux. Il
lui suffisait de poser la main sur le poignet, la poitrine ou la nuque de Moïse
pour être comblée de joie. Il lui suffisait de voir son époux auprès de ses
fils, d’entendre le souffle de sa jouissance entre ses bras, pour être bien
certaine qu’il n’était pareil à nul autre. Qu’il était, en tout son corps et
toute son âme, l’espérance.
Ainsi, dans ce long voyage, les jours
étaient heureux, les jours étaient promesses. Pourtant, le bonheur cessa alors
même qu’il devait devenir accomplissement.
*
* *
Ne pouvant la traverser avec leur troupeau,
il leur fallut contourner la mer des Joncs. Cinq lunes durant, ils longèrent
les plis désolés des montagnes sans qu’une ombre ne les divertisse de la
poussière et des cailloux. Ils avaient beau progresser vers l’ouest, le Fleuve
Itérou n’apparaissait jamais.
Moïse devint fébrile. La lenteur des jours
l’agaçait, la longueur des nuits l’irritait. Le rire et le babillage de ses
fils ne détournaient plus son regard, rivé sur l’ouest, et ne détendaient plus
le froncement de ses sourcils. Tsippora surprit, quelques fois, sa lassitude
sous ses caresses.
Il n’y eut bientôt plus de soir sans que
l’inquiétude le tourmente. Étaient-ils sur la bonne route, les bergers ne se
trompaient-ils pas, eux qui n’étaient jamais allés jusqu’en Égypte ? Les
bergers répondaient en souriant :
— Sois sans crainte, Moïse. Il n’y a
qu’une route, et tu pourrais la trouver sans nous. Il suffit d’aller vers le
soleil couchant.
Alors Moïse trouvait d’autres raisons de se
tourmenter. Son frère Aaron allait-il venir à sa rencontre, comme Yhwh le lui
avait promis ? Comment le reconnaîtrait-il ? Et ensuite, comment
atteindraient-ils Ouaset, la reine des cités ? Comment parviendraient-ils
devant Pharaon ? Les fils d’Israël l’accepteraient-ils ? Le
croiraient-ils, seulement ? Le Seigneur Yhwh lui parlerait-il encore ?
Il disait à Tsippora :
— Je dresse des autels comme ton père
me l’a enseigné. Je crie Son nom, je fais des offrandes. Mais il n’y a que les
criquets et les sauterelles pour me répondre !
Tsippora rétorquait avec patience :
— Aie confiance en ton Dieu. Qu’as-tu
à craindre ? L’Éternel n’est-Il pas la volonté même ?
Moïse opinait, riait, jouait avec Gershom,
dessinait pour lui des bêtes imaginaires dans le sable. Puis à nouveau fronçait
les sourcils et s’inquiétait.
Un jour, il en vint à jeter son bâton comme
il l’avait fait dans la cour de Jethro. Le bâton redevint serpent, sema la
terreur parmi les servantes et les rires chez les bergers. Gershom admira
grandement ce père capable d’un pareil prodige.
Puis un jour arriva où ils franchirent une
colline pareille aux centaines de collines qu’ils avaient laissées derrière
eux. Cette fois, cependant, les bergers s’immobilisèrent net. Ils pointèrent le
doigt et crièrent :
— L’Égypte ! L’Égypte !
Tsippora et Moïse étaient déjà debout,
agrippés aux lisses de leurs nacelles. Une ombre verte, droit devant eux,
traçait un trait dans l’immensité ocre et gris et liait jusqu’aux confins de
l’horizon la terre au ciel. Moïse souleva Gershom et le posa sur ses épaules.
Son chameau agenouillé, il dansa et emporta Tsippora dans ses bras, les joues
mouillées de larmes. Ce soir-là, son offrande à Yhwh fut longue et le feu de
leur fête brilla toute la nuit.
Après une seule journée de marche, le
Fleuve Itérou apparut, tel un serpent sans tête ni queue au cœur de la coulée
verte. Puis ils furent dans la plaine, et le vert grandit, barrant l’horizon du
nord au sud. Ce fut là, à l’orée du désert et tout devant l’opulence
inimaginable du pays de Pharaon, dans la brume d’un petit matin, qu’un groupe
d’hommes vint à la rencontre de leur caravane.
*
* *
Ils portaient de larges tuniques de lin
beige qui cachaient jusqu’à leurs pieds. Des
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