Tsippora
elle seule, perçut
l’embarras sous l’effusion. Miryam et Aaron ruisselaient de bonheur, les
embrassades succédaient aux embrassades.
— C’est ainsi, Moïse, c’est
ainsi ! s’exclamait Aaron en dressant les mains vers le ciel. Yhwh est
venu à ma rencontre. Il m’a dit : « Marche, va à la rencontre de
Moïse ton frère ! Soutiens-le car il va conduire les fils d’Israël hors de
la poigne de Pharaon. » Abandonnant tout, nous sommes partis. Il m’a
dit : « Tu le trouveras au désert, sur la route de Meïdoum. »
Nous sommes venus t’attendre à l’orée du désert sur la route de Meïdoum, et te
voilà !
— Ah ! rit Moïse. Moi qui étais
si inquiet ! Je me disais : « Mon frère viendra-t-il ?
Saurai-je le reconnaître, moi qui ne sais pas même son nom ? »
ah ! Quelle sottise d’avoir craint ! Tsippora avait raison, une fois
de plus, et elle s’est bien moquée de moi.
— Le croirais-tu ? intervint
Miryam en le dévorant des yeux et comme si elle ne l’avait pas entendu, le
croirais-tu ? Un jour je t’ai porté enfant dans mes bras !
Moïse rit encore, un peu décontenancé, un
éclat de sérieux dans le regard.
— Moi enfant ? s’étonna-t-il.
Mais Aaron s’était tourné vers celle que
Moïse avait désignée. Il fronça les sourcils, la surprise sur les traits,
posant sur Tsippora et sur Eliezer un même œil de braise.
— Tsippora ? s’enquit-il avant
que Miryam réponde à Moïse.
— Oui, Tsippora ! acquiesça Moïse
avec chaleur. Tsippora ma bien-aimée, mon épouse de sang. Qu’elle soit bénie
celle à qui je dois tout, et même d’être en vie. Voici mon fils premier-né,
Gershom. Voici mon second fils, que j’ai appelé Eliezer, Dieu est mon soutien,
car il m’est venu en même temps que la voix du Seigneur Yhwh.
Tsippora souriait. Mais en retour, elle ne
vit que leur stupeur. Miryam, le regard rendu encore plus pesant par la marque
terrible de son visage, parcourait la silhouette de Tsippora comme si elle
était capable de la voir nue sous ses vêtements. Les paupières d’Aaron
battirent, sa bouche frémit. Incrédule, il se retourna vers Moïse.
— Ton épouse ?
Miryam avança d’un pas, leva la main, la dirigea
vers la servante Murti comme si elle avait encore l’espoir de s’être trompée.
Moïse eut un drôle de rire. Son bras, d’un
même mouvement, enlaça Tsippora et Eliezer.
— La fille de Jethro, le sage et grand
prêtre des rois de Madiân. À lui aussi, je dois beaucoup. Tout ce que tu vois
derrière nous, mon frère, ce bétail, ces mules et ces chameaux, et même la
tunique et les sandales que je porte, tout cela est bonté de Jethro. Ces
bergers qui m’accompagnent vivaient dans sa maisonnée. Mais le plus grand don
qu’il m’ait fait, c’est de m’accorder sa fille. Oh oui, je vous le dis, sans
Tsippora et Jethro, Moïse ne serait pas Moïse !
Il avait cherché à mettre un peu de chaleur
dans ce long discours. Le froid qui émanait d’Aaron et de Miryam n’en fut qu’à
peine réchauffé. Aaron se retourna vers Moïse :
— Tu étais donc chez les
Madianites ? Et leur prêtre est un kouchite ?
Moïse eut un vrai rire, où tinta la
raillerie autant que l’amusement. Tsippora rit elle aussi, tâchant de mettre
autant de douceur que de politesse dans sa voix.
— Non, Aaron, sois sans crainte. Mon
père Jethro est comme tous les Madianites, fils d’Abraham et de Qetoura.
Le frère et la sœur marquèrent leur
surprise. Des sourires polis se posèrent sur Tsippora. Elle baissa le front
sous leur poids et s’en voulut aussitôt de cette soumission.
Moïse resserra sa main sur son épaule. À
travers la pression de sa paume, elle devina son inquiétude, les mots de
silence qui traversaient leurs chairs complices et murmuraient : « Ne
t’offusque pas, ils ne te connaissent pas encore. Ils ne savent pas. Ils sont
d’Égypte et accoutumés au fouet de Pharaon. La défiance les quittera
bientôt. »
À haute voix, il déclara :
— C’est une des longues histoires
qu’il me faudra vous conter. Remettons-nous en marche, car j’ai hâte
d’atteindre Ouaset. Nous parlerons en route, nous avons beaucoup à apprendre
les uns des autres.
Aaron s’exclama que oui, oh combien, mais,
sur le visage de souffrance de Miryam, Tsippora lut la déception et
l’incompréhension. Et une souffrance nouvelle. La grande joie de ses
retrouvailles avec son frère, si chéri, si attendu,
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