Tsippora
déjà était flétrie.
*
* *
Trente jours durant ils marchèrent vers le
sud, empruntant des chemins humides et étroits à l’écart des grandes routes. Ce
qu’elle avait sous les yeux, Tsippora ne l’avait jamais vu. Une immensité de
verts, champs, jardins et bosquets, le vert des berges d’un fleuve énorme, semé
d’îles touffues, parcouru de barques innombrables dont les voiles glissaient,
pareilles à de gigantesques papillons, sur le courant puissant.
Parfois les palmeraies et les jardins
étaient si vastes et prospères qu’ils auraient pu nourrir à eux seuls tout un
royaume de Madiân. Tsippora découvrit des fruits, des graines, des feuillages à
l’apparence et aux goûts inconnus. De temps à autre, entre les haies de joncs,
de ficus ou de lauriers, entre les troncs chargés de dattes des palmiers,
apparaissaient les murs d’une cité. Elle était impatiente de les approcher
mais, avec constance, Aaron et Miryam entraînaient la caravane à l’écart afin
d’éviter la curiosité des habitants.
— Il en est toujours qui espionnent,
expliquaient-ils. Ils verront vite que vous n’êtes pas d’Égypte. Ils courront
prévenir les soldats de Pharaon.
Tsippora plus d’une fois fut tentée de dire
ce qu’elle avait répété à Moïse tout au long de leur route : pourquoi être
effrayés, puisque vous agissez selon la volonté de votre Dieu ? Cependant,
craignant d’embarrasser Moïse, elle se tut. En vérité, elle voyait si peu son
époux qu’il lui aurait fallu réclamer son attention au risque d’irriter
l’humeur déjà sensible de son frère et de sa sœur.
Moïse avait annoncé à Aaron qu’ils auraient
beaucoup à se raconter. De fait, ils ne se quittèrent pas du voyage. D’abord,
ils se parlèrent dans la nacelle. Puis Aaron fut indisposé par le ballant du
chameau. Côte à côte, ils chevauchèrent des mules, leur voix bourdonnant du
matin au soir. Celle, sèche et nette d’Aaron, surtout, car, après quelques
jours, Tsippora remarqua que c’était lui qui parlait. Moïse écoutait et
approuvait de la tête.
Au bivouac, ils s’éloignaient pour
sacrifier ensemble à Yhwh leur Dieu. Puis ils mangeaient à l’écart de tous et
Aaron avait encore beaucoup à dire. Moïse ne rejoignait sa tente qu’au cœur de
la nuit, alors que Tsippora dormait. Le matin, à la première lueur de l’aube,
Aaron les réveillait, toujours pressé d’aller accomplir les offrandes du matin
en compagnie de Moïse, toujours pressé de replier les tentes et de reprendre la
route, toujours inquiet d’être surpris par les soldats ou les espions de Pharaon.
Aux premiers jours, Moïse avait confié à
Tsippora :
— Aaron est comme ton père Jethro. Il
veut tout savoir du feu et de la voix de Yhwh. Je dois lui répéter cent fois ce
qu’il m’a dit. Il veut aussi que j’apprenne tout de l’histoire des fils d’Isaac
et de Jacob, et surtout ce qu’il est advenu à Joseph. Oui, il est bien comme
Jethro. Mais pour ce qui est de raconter, il est moins doué que toi !
Il y avait encore de l’amusement dans sa
voix. Bientôt, cependant, Tsippora devina la tristesse et la préoccupation qui
s’emparaient de lui.
Un jour, il déclara :
— Je croyais en savoir déjà un peu sur
notre passé, mais je n’en sais pas assez. Et je croyais en savoir sur la
souffrance des Hébreux sur cette terre, sur la méchanceté et la haine de
Pharaon, mais je ne sais rien.
Elle se retint de lui poser des questions,
et il ne demanda pas son aide. Au soir, les tentes dressées, elle passait tout
son temps avec Gershom et Eliezer en compagnie des servantes. Il était rare
désormais que Moïse pose un seul regard sur ses fils. Et, étonnamment, tout
aussi rare que sa sœur Miryam leur accorde un peu d’attention. Murti la
première s’en étonna :
— N’est-ce pas étrange que la sœur de
Moïse ne vienne jamais voir tes enfants ? Elle s’est approchée l’autre
jour et, depuis, elle se tient bien loin de nous.
Comme Tsippora ne cillait pas, feignant
d’avoir à peine écouté, Murti insista avec une pointe de rancœur :
— Sont-ce là les mœurs des femmes
d’ici ? Être loin des enfants et des servantes, dormir à l’écart la nuit,
être fourrée tout le jour avec ses frères et leurs compagnons comme si nous
autres avions la peste ?
Tsippora s’obligea à sourire.
— Nous ne nous connaissons pas, nous
sommes des étrangères l’une pour l’autre. Et puis, nous
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