Tsippora
Josué grimper de l’autre côté de la sculpture. Lorsque ses yeux
parvinrent à la hauteur du mur, elle ne put réprimer une exclamation.
Quatre grands bateaux pontés formaient un
demi-cercle devant le palais d’Hatchepsout. Des flambeaux de naphte, en proues
et poupes, illuminaient vivement le fleuve. Des soldats poussaient Moïse dans
une barque où il demeura debout, tandis que les rameurs éloignaient la coque du
quai.
Tsippora songea aux dernières paroles
d’Hatchepsout : « Je sais que tu es revenu. Thoutmès le sait
aussi. » À son côté, Josué eut un grognement qui pouvait être un rire
étouffé.
— Voilà comment Pharaon convie Moïse
dans son palais. Au moins, il ne se trompe pas sur la grandeur de Moïse :
il lui faut quatre bateaux et deux cents soldats pour y parvenir.
Tsippora se retourna vers lui, étonnée par
son calme. Dans la lumière sourde des flammes de naphte, elle découvrit le
visage fin d’un garçon plus jeune qu’elle, des yeux francs possédant les mêmes
reflets cuivrés que la courte barbe, qui soulignait un menton pointu et
volontaire. Il répondit à l’air surpris de Tsippora par un haussement de
sourcils qui lui donna l’air encore plus jeune :
— N’est-ce pas ce que tu nous as dit
toi-même ? Moïse n’a rien à craindre. Le Seigneur Yhwh le veut devant
Pharaon.
D’un coup de menton, Josué désigna les
barques pleines de soldats qui escortaient celle de Moïse jusqu’aux bateaux et
ajouta :
— Tout ça, c’est de l’esbroufe.
Pharaon cherche seulement à l’impressionner.
Tsippora ne répondit pas, le regard attiré
par une forme sombre qui demeurait immobile et abandonnée sur le quai.
— Sénemiah !
La lumière était suffisante pour que l’on
vît la tache de sang sur sa tunique.
— Pas si fort. Les voix portent loin
avec le fleuve.
— Ils l’ont tué.
— Il fallait bien qu’ils tuent
quelqu’un, répliqua Josué sans s’émouvoir. Mieux vaut que ce soit lui,
l’Égyptien.
— C’était l’ami de Moïse !
s’indigna Tsippora, choquée par son cynisme.
Josué eut une grimace d’embarras.
— Pardonne-moi ! Je voulais dire
que les soldats, s’ils t’avaient mis la main dessus, auraient pu te tuer, toi.
Pharaon ne peut toucher un cheveu de Moïse. Mais abattre son épouse ?
Voilà qui aurait été un bon moyen de l’affaiblir avant qu’il soit devant lui.
Tsippora observa la barque où Moïse se
tenait toujours droit, la main fermement agrippée à son bâton, et qui accostait
mollement le navire ponté. Le cœur serré, Tsippora vit Moïse s’agripper à
l’échelle de corde déroulée le long de la coque. En cet instant, quoi que
prétende Josué et quoi qu’elle ait affirmé elle-même, elle ne put s’empêcher de
songer que, peut-être, elle voyait son époux pour la dernière fois.
— Regarde qui est là-bas, souffla
Josué.
Sur le pont, alors que les soldats tiraient
Moïse à eux, une silhouette bien reconnaissable apparut.
— Aaron !
Les bras ouverts, il s’approcha de Moïse et
le serra contre lui avant que les soldats les séparent.
— Les soldats sont arrivés au village
à la tombée de la nuit, expliqua Josué. Ils sont allés droit chez Yokéved et
ont demandé Aaron. Pas Moïse : Aaron. Ils lui ont lié les poignets et
l’ont emmené. Et moi, je les ai suivis.
Des ordres claquèrent sur les bateaux. Ils
entendirent le bruit des lourdes rames glissées contre les tenons de nage. Il y
eut un frappement de tambour et un nouveau cri. Toutes ensemble, les centaines
de rames se relevèrent et plongèrent dans l’eau noire. Avec une lenteur qui se
mua aussitôt en puissance, les bateaux rejoignirent le centre du fleuve et se
dirigèrent vers le sud. Moïse et Aaron n’étaient déjà plus visibles. Les flambeaux
de naphte furent bientôt assez loin pour plonger à nouveau le palais
d’Hatchepsout dans l’ombre.
— Quelle drôle d’odeur il y a ici, fit
Josué, fronçant le nez comme s’il venait de la remarquer. Quel drôle d’endroit,
aussi. Est-ce là le palais d’Hatchepsout ?
Tsippora ne répondit pas, n’expliqua rien,
incapable de quitter les bateaux du regard.
— Sais-tu nager ? demanda Josué
en lui saisissant la main pour s’assurer de son attention.
— Oui.
— Tant mieux. J’ai une petite barque
de joncs là-bas, en amont du quai. Quand j’ai vu les soldats pousser Aaron sur
un bateau, je n’ai pas hésité. Il m’a fallu remonter le
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