Un collier pour le diable
dans la vaste cour, disparut aux yeux de Gilles qui revint sur ses pas, alla attacher Merlin à l’un des anneaux de bronze scellés dans le mur puis revint, à pied, trouver l’une des sentinelles qui, voyant approcher un officier, rectifia la position, salua. Elle ouvrait déjà la bouche pour lui faire rendre les honneurs dus à son grade quand Gilles l’arrêta.
— N’appelle pas, mon ami : je ne veux pas entrer. Simplement je désire un renseignement.
— À vos ordres, mon lieutenant !
— Moins haut, que diable ! Je ne viens pas te demander de me livrer un secret d’État, mais j’aimerais tout de même un peu de discrétion ! Dis-moi, connais-tu la dame qui vient d’entrer à l’instant dans une berline noir et rouge ?
Le visage du garde se fendit en un large sourire tandis qu’il clignait de l’œil d’un air finaud. S’il s’agissait d’une histoire de femme il était à son affaire et comprenait sans peine pourquoi un lieutenant des Gardes du Corps de Sa Majesté le Roi venait causer avec un simple soldat.
— Sûr que je la connais ! Elle habite le palais… c’est même la plus jolie fille de toute la maison. Je comprends qu’elle vous intéresse, mon lieutenant. — Alors, qui est-ce ?
— L’une des deux lectrices de Madame ! Il y a environ deux ans qu’elle est entrée au service de la princesse.
— Et elle s’appelle ?
— Mademoiselle de Latour, Julie de Latour. Elle est belle comme le jour, mais pas commode par exemple ! Si vous avez dans l’idée de lui faire la cour, mon lieutenant, vous feriez bien de prendre garde : elle a la main leste, la langue encore plus et on ne lui connaît pas d’amoureux !
La voix du jeune soldat, cependant agrémentée d’un vigoureux accent bourguignon, fit l’effet à Gilles de la plus céleste musique.
— Pourtant, reprit-il, elle était accompagnée d’un homme dans cette voiture. Sais-tu qui il est ?
— Pas très bien. On ne l’a vu que deux ou trois fois ici. Il est venu ce tantôt voir Monseigneur et il est ressorti avec Mademoiselle de Latour dans une voiture de la maison. Je crois que c’est un provincial, ou plutôt un étranger car il a un drôle de nom.
— Il n’habite pas le palais, alors ?
— Absolument pas. Ça m’étonnerait même qu’il y reste encore longtemps maintenant qu’il a ramené la belle Ju… je veux dire Mademoiselle de Latour. Il a laissé son cheval !
— C’est bien, mon ami, je te remercie !
Un demi-louis passa de la poche du chevalier à la main du jeune garde ravi de l’aubaine.
— À ce prix-là, mon lieutenant, vous pouvez revenir poser des questions sur toute la maison de Monsieur, je m’appelle Gaubert, dit La Pervenche.
— Entendu, la Pervenche ! Je me souviendrai de toi…
Répondant au salut du jeune soldat il fit quelques pas hors de l’ombre du porche monumental.
Sur le point de retourner vers son cheval, il se ravisa. Il ne pouvait pas s’éloigner de la demeure de Judith sans lui avoir seulement adressé la parole et essayé de percer, si peu que ce soit, le mystère dont s’enveloppait la jeune fille. C’était déjà quelque chose d’avoir appris qu’elle était lectrice de la comtesse de Provence mais pourquoi sous un faux nom ? Par crainte de ses frères, car, ignorant l’exécution de Tudal, elle devait toujours les évoquer au pluriel ? Que pouvaient deux hobereaux crasseux contre un membre d’une aussi puissante maison princière ? Pour mieux se cacher peut-être et peut-être même de ses propres et terrifiants souvenirs puisqu’elle avait jugé bon de changer aussi son prénom. Julie de Latour ! Pourquoi ce nom ?…
Brusquement, les dernières paroles échangées entre Monsieur et la comtesse de La Motte lui revinrent en mémoire : « En cas de nécessité faites-moi tenir un billet anodin, le texte importe peu, mais vous le signerez J. de Latour… Vous n’oublierez pas, J. de Latour… »
Le rapprochement était aveuglant. Le prince avait indiqué à sa complice le nom sous lequel Judith était connue chez lui. Mais alors, qu’est-ce que la jeune fille était allée faire chez cette femme que, normalement, elle ne devait pas connaître ? L’homme qui l’accompagnait était-il simplement chargé de mettre les deux femmes en contact ?…
Incapable d’apporter une réponse satisfaisante à ces questions, il revint vers la sentinelle.
— Qui commande le poste de garde, cette
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