Un collier pour le diable
nuit ?
— Monsieur le Comte de Thézan, Premier Lieutenant.
— Alors va me le chercher !
Normalement le soldat La Pervenche aurait dû partir au petit trot mais, à la surprise du chevalier, il ne bougea pas.
— Eh bien ? Qu’attends-tu ?
— Faites excuse, mon lieutenant… mais si j’étais vous, je n’en ferais rien.
— Et pourquoi, s’il te plaît ?
— Parce que cela ne vous servira à rien. Si c’est dans l’espoir d’approcher Mlle de Latour, ni Monsieur de Thézan ni d’ailleurs Monsieur le Comte d’Auger, notre capitaine, ne pourrait vous y aider. Le règlement du palais est très sévère en ce qui concerne les dames et demoiselles de Madame. La princesse est austère, rigide et, si Mlle de Latour était surprise parlant la nuit avec un homme, elle serait chassée immédiatement.
— Et celui avec lequel elle vient de rentrer, alors ?
— Ce n’est pas la même chose. S’il appartient à sa famille Madame a pu l’autoriser à l’emmener mais, croyez-moi, il a sûrement dû montrer patte blanche.
— Mais enfin, je peux avoir un message à délivrer. Je pourrais être… son frère !
— Selon Madame il n’y a pas de message qui ne puisse attendre le jour lorsqu’il s’agit de ses demoiselles d’honneur. Quant à vous faire passer pour son frère, c’est une aventure que je ne tenterais pas si j’étais vous.
— Tiens donc ! Tu as une bonne raison à me donner ?
— C’est une question que vous ne poseriez pas, mon lieutenant, si vous aviez une seule fois rencontré Mme de Montesquiou qui remplit le rôle de surintendante chez Madame. Il n’y a pas un homme ici qui ne préfère affronter les balles anglaises plutôt que son œil de granit. Si vous vous obstinez à demander Mlle de Latour, vous vous retrouverez forcément en face d’elle… et si vous en sortez vivant vous aurez des cauchemars pendant six mois !
Gilles se mit à rire.
— C’est bon ! Je renonce pour ce soir, mais demain je reviendrai.
— Demain il fera jour. Vous aurez beaucoup plus de chance.
— Dieu t’entende ! Merci du conseil en tout cas…
Il s’éloigna, détacha Merlin, se remit en selle… et ne bougea pas. Il avait envie à présent de savoir ce que c’était au juste que ce bonhomme assez bien en Cour pour avoir le droit d’emmener Judith où bon lui semblait. Il devait être intéressant d’apprendre où cet oiseau de nuit gîtait…
Cette fois l’attente ne fut pas longue. Le pas d’un cheval retentit sous la voûte et un cavalier, enveloppé d’un manteau noir, coiffé d’un chapeau noir orné d’un plumet trop reconnaissable, fit son apparition.
— Voilà mon homme, marmotta Gilles entre ses dents. Voyons un peu où il va.
Il espérait de tout son cœur que le personnage habitait sinon le quartier, du moins un endroit point trop éloigné car la fatigue commençait à peser assez lourdement sur ses épaules, cependant habituées à de rudes tâches mais, décidément, la vie en pays civilisé et, singulièrement, la vie à Paris était beaucoup plus éprouvante qu’une longue chevauchée à l’air libre ou même la vie du guerrier en campagne. Mais quand il vit briller devant lui le large ruban de la Seine, le jeune homme comprit que son lit n’était pas encore pour tout de suite…
Pourtant, et sans qu’il pût vraiment savoir pourquoi, une impulsion plus forte que sa volonté, sa curiosité ou son envie de dormir le poussait sur la trace de cet homme. Il éprouvait un besoin presque physique d’en savoir davantage, d’approcher un être qu’il devinait mystérieux et qui l’attirait comme l’aimant fait de la limaille de fer.
Passé la Seine, l’étranger reprit à peu près le même chemin qu’à l’aller, encore qu’à une allure nettement plus rapide, et ramena son poursuivant jusqu’à la rue Saint-Louis. Il était très tard à présent. Pourtant, les deux cavaliers qui se suivaient à distance respectueuse n’avaient rencontré aucun détachement du guet. Même le poste du Grand Châtelet était tranquille et silencieux comme si tout le monde y dormait. Cela tenait peut-être au temps. L’orage qui ne s’était pas encore décidé à éclater tournait toujours autour de Paris qu’il environnait de grondements sourds et de brefs éclairs. Personne n’avait envie d’être dehors par un temps aussi menaçant, peut-être même pas les malandrins…
Pourtant, brusquement, ce fut l’attaque. Comme le premier
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