Un collier pour le diable
s’appelle Yorktown, comme Olivier le Gerfaut devant Mansourah, comme Geoffroy devant la Roche-Derrien, comme Olivier II devant Auray, comme Jean devant Pontorson, comme René, le dernier, devant Rouen. Il est mort glorieusement, mais il était toujours aussi pauvre ! Il n’a laissé que son rêve…
— Mais vous, seigneur, vous qui êtes jeune, qui êtes fort, vous allez, n’est-ce pas, accomplir le vœu de votre père ! Vous allez, n’est-ce pas, reprendre La Hunaudaye à ceux qui la méritent si peu et qui la laissent périr ! Le baron Louis-François l’avait vendue à un riche seigneur, le comte de La Moussaye, mais de lointains descendants de vos ancêtres se sont jetés sur lui comme des vautours. Il y a eu procès et ces gens se sont fait adjuger le fief : l’un a pris le château, les métairies, les droits féodaux, l’autre a pris la forêt… Cela ne leur a pas été difficile, ce sont des « robins », ajouta Joel avec mépris. Il faut que vous repreniez au moins le château, mon maître, pour que je puisse mourir heureux…
— Je le voudrais ! Oui, je le voudrais de tout mon cœur, mais je doute d’y parvenir. La Reine, pourtant, m’a promis que château et fief me seraient rendus si l’actuel propriétaire consentait à me les céder. Mais celui-ci, que j’ai vu à Rennes, ne veut rien entendre pour céder au moins La Hunaudaye… à moins que je ne lui paie un prix exorbitant, un prix qu’il m’est impossible de demander à Sa Majesté, si bien disposée soit-elle à mon égard…
En effet, le jour où Axel de Fersen avait conduit son ami à Trianon, Marie-Antoinette avait réservé au jeune homme l’accueil le plus charmant. Elle avait écouté avec un intérêt non dissimulé le récit de ses exploits et, singulièrement, celui du sauvetage du Suédois dans les bois de Virginie 3 . L’histoire lui avait tant plu qu’elle avait spontanément tendu au chevalier sa main royale :
— Vous m’avez conservé, seigneur Gerfaut, le meilleur de mes serviteurs. C’est à moi de vous récompenser. Que souhaitez-vous ?
Sans laisser à son ami le temps de répondre, Fersen s’était alors chargé du vœu :
— Sa Majesté le Roi a bien voulu rendre au chevalier son nom et son titre. Mais, comme il souhaite se marier, il aimerait retrouver la terre et le domaine de ses ancêtres qui, par malheur, appartiennent à d’autres.
— Qu’à cela ne tienne ! Voyez ces autres, chevalier, et revenez me dire quel prix ils mettent à une cession. La Reine, Monsieur de Tournemine, n’a rien à vous refuser.
La parole était royale, le ton d’une grande gentillesse, la Reine, visiblement pleine de bonne volonté, mais, après avoir rendu visite au marquis de Talhouët-Boishorand, cousin cependant de son parrain, le recteur d’Hennebont, Tournemine avait vu s’évanouir le bel espoir qu’il avait emporté en Bretagne. Le moyen de revenir à Versailles demander à la Reine la somme fabuleuse qu’on lui réclamait ?…
— Voulez-vous me dire quel prix l’on vous demande ?
Ce fut Batz qui se chargea de la réponse :
— 500 000 livres 4 ! Une bagatelle comme vous le voyez. C’est parfaitement incompréhensible quand on considère l’état du château et le fait qu’il n’y a plus guère de terres autour puisque la forêt appartient à un autre.
Le vieux Joel parut soudain vieilli, vidé de cette étonnante vitalité qui le tenait si droit, si fièrement dressé au-dessus du niveau des autres hommes. Mais ce ne fut qu’un instant. Très vite il se reprit :
— Je crois que je peux expliquer. Pour refuser de vendre – car de telles prétentions équivalent à un refus – je ne vois qu’une raison : il espère trouver un jour le trésor…
L’éclat du feu émigra brusquement dans les yeux de Batz.
— Un trésor ?… murmura-t-il. Quel trésor ?
— Celui de Raoul de Tournemine, l’homme qui, après avoir combattu en Italie, fut ambassadeur auprès du roi d’Angleterre et du Pape Jules II. Extrêmement riche, il adorait les joyaux et en possédait une grande collection, dont beaucoup pris en Italie. Il ne permettait à personne qu’à lui-même de la contempler. Elle reposait dans un coffre de la maîtresse tour mais quand il a compris que la mort était proche, il l’a cachée dans un lieu que personne n’a jamais pu découvrir. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir cherché au cours des siècles…
— Pourquoi ne pas l’avoir
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