Un collier pour le diable
d’une éclaircie, elle ne put s’empêcher de soupirer.
— Encore un peu de temps et vous serez guéri, mon ami. Encore un peu de temps et nous ne nous verrons plus…
— Ne plus nous voir ? Mais pourquoi ? Allez-vous m’interdire votre maison parce que je ne serai plus votre malade ? J’en serais très malheureux.
— Croyez-vous ? Votre cœur a bien d’autres sujets d’intérêt que le souci d’une amie.
Ils s’étaient arrêtés près d’un buisson de pivoines fraîchement écloses, aussi roses que le visage de la jeune femme. Gilles prit doucement sa main pour en baiser la paume.
— Une amie ? Vous êtes beaucoup plus qu’une amie pour moi, Aglaé.
— Une sœur alors ?… Eh bien, soit ! Je serai votre sœur… assez heureuse si vous avez, un jour, à nouveau besoin d’elle.
— Besoin ? Quel mot !
Elle eut un petit sourire triste.
— L’avenir m’apparaît si sombre, mon cher Gilles ! Ce que j’entends autour de moi me fait frémir. J’ai peur que nous n’allions vers des temps redoutables où les familles se déchireront, où le père reniera le fils, où le frère haïra la sœur…
— Vous haïr, vous ? Vous, la grâce, le charme, la douceur, la générosité ?
— Moi, la maîtresse du duc de Chartres, bientôt duc d’Orléans car son père décline, moi qui serai dans un camp différent du vôtre un jour, un camp ennemi car la rancœur s’amasse lentement dans le cœur de Philippe qui n’est pas vraiment mauvais. Lentement mais sûrement. Un jour, elle l’envahira entièrement. Il aurait pu être un mouton heureux de vivre, les tracasseries de Versailles en feront un loup enragé. Ce jour-là, oui, vous commencerez à me détester.
— Jamais ! Même si Orléans entrait en révolte ouverte, vous me resteriez chère entre toutes les femmes…
— Vous en êtes bien certain ?
— Sur mon honneur… et ma tendresse pour vous !
Elle lui sourit, rejetant sur son front une mèche de cheveux que le vent faisait voltiger.
— Dieu veuille que je n’aie jamais à vous rappeler ce serment, mon ami…
1 . C’est cette méthode qui allait conduire Laennec, élève de Corvisart, à la découverte du stéthoscope.
2 . Le sang de l’hémorragie interne passe dans les bronches et s’écoule par la bouche.
3 . Le sang s’accumule dans la cavité de la plèvre.
4 . Le premier véritable et grand pharmacien parisien.
5 . Ponction du liquide accumulé dans la plèvre au moyen d’un trocart.
6 . Célèbre médecin suisse, partisan de la médecine naturelle, qui était au service du duc d’Orléans. Mort en 1781.
CHAPITRE XIV
DEUX CŒURS DE FEMMES…
Deux mois plus tard, Gilles de Tournemine et Merlin, enfin ressoudés, contemplaient ensemble la façade muette de la maison de Cagliostro.
Dans la lumière indécise du crépuscule, la demeure du sorcier avait l’air d’attendre quelque chose, tapie derrière le triple abri des arbres du boulevard, d’un fossé assez profond pour se donner des allures de douves et de grands murs hérissés d’artichauts de fer qui ne laissaient apercevoir que les fenêtres de l’étage supérieur et les hauts combles à la Mansart, habillés d’ardoise. Elle avait assez l’air d’un gros chat patient, roulé en boule sur lui-même mais toujours prêt à lancer une patte preste sur toute imprudente souris passant à sa portée… La rue Saint-Claude ouvrait à son flanc un boyau en pente raide qui plongeait vers le couvent des Filles du Saint-Sacrement. C’était sur ce côté que donnait la porte cochère de l’hôtel, une porte cochère rébarbative à souhait avec les énormes clous qui la renforçaient et la féroce tête de griffon en bronze qui lui servait de marteau.
Pourtant, jamais demeure royale, éclatant Versailles ou délicieux Trianon n’avait inspiré au chevalier une joie aussi vive que cet hôtel austère et vaguement inquiétant. Il ne savait pas très bien quelle sorte de paroles allaient s’échanger entre lui et le médecin italien. Peut-être seraient-elles aussi dangereuses que les balles d’un duel car il fallait qu’elles fussent définitives…
Dans le valet qui vint ouvrir le portail, à l’appel du marteau, Gilles reconnut le gigantesque et fugitif concierge de l’hôtel Ossolinski. Mais si celui-ci reconnut le jeune homme il n’en montra rien.
Il acquiesça d’un signe de tête quand on lui demanda à voir son maître, appela d’un geste un
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