Un collier pour le diable
plaisir à revenir causer avec vous pendant le reste de votre séjour ici. Peut-être avec quelques amis. Vos exploits américains vous ont fait un succès auprès des femmes. Voyons ce que vous ferez auprès des hommes… À propos, j’ai pu voir en entrant chez vous que vous aviez un serviteur bien étrange. N’est-ce pas un Indien ?
— C’en est un, Monseigneur. Un guerrier iroquois de la tribu des Onondagas que j’ai attaché à moi en lui faisant… euh ! traverser la Delaware en crue. C’est même un sorcier !
— Magnifique ! Vous devriez me le vendre ! Je lui ferais reprendre le costume de son pays et il aurait un énorme succès dans mon antichambre.
— Vous le vendre ? Monseigneur, mais c’est impossible, s’écria Gilles, scandalisé. On ne vend pas ses amis ! et Pongo est un ami pour moi… un ami très cher même !
— Bah ! je sais ce que valent les amis. Tout dépend du prix ! Et je suis prêt à payer une fortune pour ce garçon. Voyez-vous, mon cher, ce bon La Fayette vient de rentrer d’un voyage, triomphal à ce qu’il prétend, auprès du général George Washington et il en a ramené un jeune Indien superbement emplumé qui lui sert de domestique et qui le suit partout. Flanqué de ce jeune oiseau il a un succès tel que j’enrage ! Grâce à votre serviteur je pourrais reprendre le dessus…
Gilles se mit à rire.
— Ne me dites pas, Monseigneur, que le premier prince qui ait été assez hardi pour s’aventurer dans les airs a besoin d’un Indien décoratif pour s’assurer la suprématie dans les salons ! Je regrette. Si Pongo n’était qu’un serviteur je le donnerais à Votre Altesse sans hésiter et sans qu’il soit question de prix. Mais il est un ami fidèle… et un homme libre ! Je ne saurais en disposer. Et puis, accordez-moi permission d’être aussi scrupuleux envers mes amis qu’envers ceux de Votre Altesse Royale !
— Touché ! s’écria Philippe. Décidément, vous me plaisez. À bientôt !…
Philippe de Chartres tint parole. Lorsque Gilles, étayé d’un côté par l’épaule de Pongo et de l’autre par une canne, put quitter sa chambre pour le grand salon en rotonde qui occupait la majeure partie du pavillon, il put y voir venir pour les thés à l’anglaise que le prince, anglophile passionné, affectionnait, quelques-uns de ceux qui composaient la « petite bande » de Philippe : Victor de Broglie, Mathieu de Montmorency, Louis de Narbonne, le beau bâtard de Louis XV, les Girardin et certains autres qui étaient pour lui d’anciens compagnons d’armes comme les deux Lameth. Enfin un véritable ami : le vicomte de Noailles qui lui sauta au cou sans cérémonie et grâce auquel le thé à l’anglaise prit la tournure de réunions d’anciens combattants.
— Le service des rois n’est valable qu’en temps de guerre, lui déclara-t-il, sans phrases. Tu n’as rien à faire à Versailles, mon ami ! le temps de la servitude s’achève. Viens voir se lever avec nous celui des hommes libres, les temps bénis de la fraternité. L’Amérique nous montre le chemin…
— Noailles, mon ami, dans un instant tu vas me parler république, je te dirai des choses désagréables et nous serons obligés d’aller sur le pré. Laisse-moi au moins le temps de me réparer. As-tu des nouvelles de Fersen ?
— Ma foi non ! Toujours en Suède ! Tu sais que La Fayette est revenu ? Il m’a chargé de te dire son chaud sentiment et ses vœux de bonne santé.
— Que n’est-il venu lui-même ? Nous avons fait tant de coups de main ensemble ! Je serais heureux de le revoir…
— Lui aussi mais il est déjà reparti, non seulement de Paris mais pour une nouvelle croisade. Cette fois, il s’agit des Protestants de France dont il veut améliorer la condition. Il dit que cette condition est détestable bien qu’il n’y ait pas contre eux de persécution ouverte, qu’ils dépendent d’un caprice du Roi, de la Reine, du Parlement ou d’un ministre et c’est vrai ! Nous ne sommes plus au temps des Dragonnades, mais leurs mariages ne sont toujours pas légaux, leurs testaments n’ont pas forme officielle, leurs enfants sont pratiquement bâtards et, même s’ils sont gentilshommes, on peut parfaitement les pendre comme manants. La Fayette dit que cela a assez duré !…
— On voit qu’il revient d’Amérique, soupira Gilles. J’aimerais l’aider ! Tu as raison quand tu dis qu’à Versailles les idées et
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