Un collier pour le diable
Quelle imprudence ! Si l’on vous voyait, si l’on vous entendait ?
— Pas de danger ! Ma mère et la duchesse d’Albe… je devrais dire la duchesse d’Albe et ma mère qui éclate d’orgueil soupent ensemble dans la salle. Moi, j’ai dit que je n’avais pas faim, que j’avais mal à la tête. Oh, Gilles ! Est-ce que cette femme est votre maîtresse ?
— En voilà une question pour une petite fille bien élevée ? C’est pour me demander cela que vous êtes venue ici ?
— Bien sûr que non. Mais d’abord je ne suis plus une petite fille et ensuite, si elle vous cache, c’est sûrement parce qu’elle vous aime. Elle est plutôt belle, d’ailleurs… encore qu’elle ne me plaise pas. Elle a trop l’air de croire qu’il n’y a au monde que Dieu, elle et quelques accessoires.
— Thérésia ! gronda le jeune homme. Encore une fois…
— Qu’est-ce que je viens faire ? Vous aider. Oh ! grand ami, j’ai été si heureuse tout à l’heure quand je vous ai reconnu ! Les gens disaient des choses si affreuses ! Et je ne savais même pas si vous étiez vivant !
La spontanéité de l’enfant était rafraîchissante et Gilles se radoucit.
— Si je comprends bien, vous n’avez pas cru à ces choses affreuses ?
Elle le considéra avec cet air de commisération indignée que prennent les enfants quand les grandes personnes disent des sottises.
— Êtes-vous fou ? Je vous connais et je sais juger un homme, ajouta-t-elle avec une dignité comique. Mes parents non plus, d’ailleurs, n’y ont pas cru. On vous aime bien chez nous. Papa disait que c’était une histoire de fous et que ça avait quelque chose à voir avec la princesse des Asturies. Les femmes jouent un grand rôle dans votre vie, n’est-ce pas ?
Pour le coup, Gilles se mit à rire.
— Elles jouent un grand rôle dans la vie de tous les hommes, Thérésia. Vous aussi jouerez, plus tard, ce grand rôle… et dans la vie de beaucoup d’hommes peut-être.
Elle se laissa tomber sur le bord de la couchette et poussa un soupir qui contenait toute l’expérience du monde.
— Oh, je sais. J’ai déjà commencé.
— Vraiment ?
— Vraiment ! Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi vous nous retrouvez ici, en route pour la France comme si toute l’Espagne s’était mise à flamber ? C’est à cause de moi.
— Tiens donc ! De vous ?
— De moi… et de l’oncle Maximilien ! Il est tombé amoureux de moi et il a demandé ma main à mon père. Ça a fait un horrible scandale.
Abasourdi, Gilles la considéra avec stupeur. Elle paraissait pourtant avoir tout son bon sens.
— Votre oncle ?… Le frère de votre mère ?
— Oui, l’oncle Galabert bien sûr. Vous le connaissez. Il ne m’aurait pas déplu, d’ailleurs : il est charmant.
Plusieurs fois, en effet, Gilles avait rencontré, chez les Cabarrus l’« oncle Maximilien » qui était arrivé de Bayonne au tout début de l’année pour les affaires familiales. Et il n’y avait, en effet, rien d’étonnant à ce que Thérésia l’eût jugé charmant : trente ans, élégant, distingué, il avait l’œil vif, la bouche gourmande et une silhouette à la fois vigoureuse et souple, bien prise dans des vêtements de bon goût et de coupe parfaite. Il était en plus assez spirituel et fort galant : de quoi tourner plus d’une tête féminine, même celle d’une nièce un peu grande pour son âge. Mais de là à vouloir l’épouser…
— Est-ce à dire que ce mariage insensé ne vous aurait pas déplu ? On dirait, ma parole, que vous emportez certains regrets ?
Le sourire que lui offrit l’adolescente fut un étonnant mélange de candeur enfantine et d’inconscience féminine.
— Bien sûr ! J’aime beaucoup l’oncle Maximilien. Il sait dire de si jolies choses…
— Mais sacrebleu, c’est votre oncle, le frère de votre mère !
— C’est un homme et un homme est un homme. Pour moi, il n’y a que deux catégories : ceux qui sont séduisants et ceux qui ne le sont pas. Vous êtes un homme séduisant… mais l’oncle Max aussi. Et puis, j’avais besoin d’être consolée. Vous m’aviez complètement abandonnée… vous ne vous occupiez pas de moi parce que vous aviez d’autres idées en tête : votre duchesse par exemple ! Je l’ai bien vu le jour où j’ai été couronnée Reine de Mai. Si vous…
— Thérésia, Thérésia, nous nous égarons. Revenons à vos parents. Ils ont pris très
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