Un collier pour le diable
puis, se relevant, il prit sa course en direction des écuries de Trianon. Il fallait à présent reprendre son cheval et essayer de retrouver la femme pour la suivre, savoir où elle allait et peut-être lui reprendre à elle la fausse clef dont elle se servait si bien.
Cela devait être possible. Elle n’avait pas sur lui une grande avance car l’attaque du prince n’avait demandé que quelques secondes. En outre, elle n’avait plus aucune raison de courir, exercice qui, affublée d’une robe à paniers, n’était pas tellement commode même pour une femme jeune et agile. Enfin, peu d’hommes pouvaient se vanter d’être, à la course, plus rapides que le Gerfaut.
Les jardins de Trianon, où de nouvelles merveilles s’allumaient pour la joie des yeux des convives qui avaient achevé leur souper et commençaient à sortir, furent traversés en trombe, à la grande surprise de quelques invités qui virent passer sans bien savoir ce que c’était une sorte de météore bleu et argent. Mais quelques minutes plus tard, Gilles sautait en voltige sur le dos de Merlin et, passant comme un boulet de canon devant le poste des Suisses, disparaissait sous les grands arbres bordant l’allée des Trianons.
Il déboucha dans celle des Matelots si impétueusement qu’il dut faire cabrer l’irlandais pour éviter une collision avec une voiture de louage qui débouchait juste à cet instant de l’allée et qui s’arrêta pile dans une bordée d’injures du cocher. À la lumière de la lanterne pendue à l’angle des deux routes, Gilles vit surgir la tête courroucée d’un jeune homme blond, coiffé d’un chapeau anglais à la dernière mode, qui lui lança d’une voix affectée :
— Faites donc attention, espèce d’imbécile ! Vous avez failli nous jeter au fossé.
— Mille excuses, Monsieur. Mais je suis fort pressé ! Service du Roi !… fit Gilles qui crut un instant s’être trompé.
— La peste soit de ces Gardes du Corps qui se croient tout permis ! Allez, mon ami ! Et un peu rondement ! Nous ne serons jamais à Paris avant demain matin si nous allons de ce train.
Gilles retint son cheval pour laisser la voiture prendre un peu d’avance puis le lança de nouveau afin de la rattraper et de la dépasser. Quand la voiture s’était arrêtée, il s’était traité mentalement de triple idiot. Se faire remarquer ainsi, quelle stupidité. Mais elle avait eu sa contrepartie car le bref arrêt du fiacre lui avait permis d’apercevoir, derrière le beau chapeau du jeune dandy, le pâle visage de la femme qui osait ressembler à Judith et en outre, il avait recueilli une information précieuse : ces gens allaient à Paris. Il fallait donc y être avant eux et les attendre à la barrière, ce qui, grâce aux jambes fines de Merlin, infiniment plus rapides que celles d’un cheval de fiacre, ne présentait guère de difficulté. Cela lui laissait même le temps d’échanger son uniforme contre une tenue plus discrète afin de ne pas attirer une seconde fois l’attention du grincheux occupant de la voiture.
Mais, comme dans tous les régiments, les Gardes du Corps proposent et leurs supérieurs disposent. Second lieutenant, Gilles débouchant dans la cour de l’hôtel où il était logé provisoirement en attendant qu’il se fût trouvé une habitation convenable, eut la désagréable surprise d’y trouver le comte de Vassy, capitaine en second qui s’apprêtait à monter à cheval mais se ravisa en le voyant surgir.
— Vous tombez à merveille, Monsieur de Tournemine. Je viens d’être averti que le lieutenant de Castellane qui assurait la garde au palais cette nuit vient d’être victime d’un malaise… une… ancienne blessure qui s’est rouverte. Allez le relever !
— À vos ordres ! Puis-je seulement monter chez moi donner un ordre à mon valet et mettre des bottes propres ?
— Allez, vous avez cinq minutes.
Maudissant sa malencontreuse idée de changer de costume, il grimpa quatre à quatre jusqu’à son logis où il savait trouver Pongo debout et habillé : jamais il ne se couchait avant le retour de son maître.
— Selle un cheval, lui dit-il, prends la route de Paris et… retrouve un fiacre… une voiture de louage à caisse jaune portant le numéro 12. Il y a dedans un homme et une femme. Je veux savoir où ils vont et, si possible, où la femme habite. Tu as compris ?
Pongo fit signe que oui, grimaça un sourire qui fit briller ses longues
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