Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
Vom Netzwerk:
secrets même, se confient maintenant à lui avec une désinvolture et une candeur qui lui réchauffaient le cœur. Ainsi, pour expliquer qu’il avait fait un enfant à sa femme malgré sa maladie, il lui avait dit : « Monsieur Valcourt, c’est un accident. Ce jour-là j’avais vendu tout mon tabac en une heure. Je suis allé boire de la bière au Cosmos tellement j’étais heureux. Et il y avait cette fille que je voulais depuis si longtemps. Je l’ai prise avec une capote que le père m’avait donnée. Puis, un peu soûl, je suis rentré à la maison. Mais j’avais encore envie. Cette fille, elle n’était pas très bonne. Et ma femme, elle, elle est très bonne. Je n’avais plus de capote, mais j’avais tellement envie et ma femme aussi. Dieu ne me punira pas parce que ma femme et moi, on voulait avoir du plaisir. Vous voyez, c’est un accident. »
    Valcourt répéta pour la dixième fois que le projet de film avançait.
    « Vous me ramenez à la maison, monsieur Valcourt ? Les affaires ne sont pas bonnes aujourd’hui et, surtout, les clients ne sont pas de bonne qualité. Regardez derrière vous. »
    À une dizaine de mètres, quatre jeunes miliciens portant la casquette du parti du président faisaient des moulinets avec leur machette. La joyeuse et bruyante anarchie du marché s’était éteinte, comme dans une forêt soudain se taisent les oiseaux quand les prédateurs s’y glissent.
     
    Georgina, la femme de Cyprien, avait fait du thé, mais ils buvaient de la Primus chaude. Valcourt ne cessait de regarder les trois enfants qui jouaient sur le petit bout de terre battue faisant office de jardin et de terrain de jeu. Quelques plants de tomates, des haricots aussi poussaient difficilement à l’ombre de la petite cabane de terre rougeâtre. C’étaient des enfants comme tous les autres. Ils s’inventaient des jeux avec une boîte de conserve qui, à un moment, servait de ballon, puis, à un autre, de coquillage, dont ils tiraient des sons qui provoquaient des rires presque hystériques. Valcourt ne voyait pas des enfants, il observait des morts en sursis. Sans trop s’en rendre compte, il cherchait sur leur visage des indices, des signes de leur maladie. À chaque visite, il posait des questions sur leurs diarrhées ou encore sur leur poids. Avaient-ils eu de la fièvre récemment ? Comment était leur appétit ? Encore cet après-midi, il recommençait et surtout prenait à témoin Gentille qui, elle, ne faisait que rire du rire des enfants.
    — Gentille, comment peux-tu rire aussi facilement ?
    — Parce qu’ils sont drôles. Parce qu’ils rient. Parce que maintenant il fait chaud et bon. Parce que tu es là. Parce que la bière me chatouille le dedans des joues et que j’aime bien Cyprien et Georgina… Tu veux que je continue ? Alors je continue : parce que les oiseaux, la mer que je ne vois pas et que je n’ai jamais vue, parce que le Canada que je verrai peut-être un jour. Parce que maintenant je vis, parce que les enfants vivent et parce que maintenant nous sommes bien. Tu veux que je continue ?
    Il secoua la tête. Gentille avait raison.
    — Monsieur Valcourt, commença Cyprien, je vais te dire ce qui te fait la tête toujours triste et sérieuse. Je te tutoie parce que tu sais tout de moi. Tu m’as tout tiré de la tête avec tes questions. Tu connais même ma maladie mieux que moi et tu me l’expliques. Tu vois, comme vous dites, nous sommes des intimes. De drôles d’intimes : tu sais quand je mets une capote et quand je ne le fais pas, et je ne connais même pas ton âge. Mais ce n’est pas grave. Je te dis, tu nous fais peur un peu parce que tu nous fais réfléchir. Nous sentons dans tes yeux ce que tu vois dans ta tête. Tu vois des morts, des squelettes, et en plus tu voudrais que nous parlions comme des mourants. Je le ferai quelques secondes avant de mourir, mais jusque-là, moi, je vis, je baise, je ris. C’est toi qui parles comme un mourant, comme si chaque phrase était la dernière. Il ne faut pas m’en vouloir, mais c’est ce que je pense et je le dis. Monsieur Valcourt, tu prends une autre Primus, tu ris avec nous, puis tu rentres à l’hôtel, tu manges, tu baises la belle Gentille et tu t’endors en ronronnant comme un chat. Et tu nous laisses tranquillement mourir en vie. Voilà, mon ami, ce que je voulais te dire depuis longtemps.
    Valcourt encaissa la leçon comme un boxeur encaisse un direct dévastateur. Il était

Weitere Kostenlose Bücher