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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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parce que l’homme sera court et trapu. Et pensant défendre ou venger les tiens, l’âme en paix, certain de ton patriotisme et de tes idéaux démocratiques, tu tueras un Tutsi qui malheureusement est né avec le physique d’un Hutu. Raphaël, Gentille est une Hutue. Mais le même soir où tu tuerais ce Tutsi au physique de Hutu, tu sauverais Gentille parce que son corps ressemble au tien. Toi aussi, tu raisonnes comme eux. C’est ça, la prison et aussi la mort. »
     
    Chez le procureur général adjoint, qui ne voulut pas le recevoir, on enregistra studieusement la dénonciation de Valcourt et sa demande d’enquête. Pour bien lui montrer le mépris avec lequel on accueillait cette fausse accusation contre les forces de l’ordre d’un État souverain par un étranger qui n’était que toléré dans ce pays, on avait confié son dossier au dernier des substituts du procureur. Le jeune homme étouffait dans son costume trop étroit, et son col dur faisait saillir les veines de son cou. Il suait abondamment. À la boutonnière, il portait le macaron du parti du président. Il interrogeait Valcourt agressivement comme s’il était un criminel. Une véritable hyène. Valcourt répondait avec patience et politesse aux questions les plus absurdes, sans même penser un seul instant à souligner les contradictions, à relever les insultes déguisées, les allusions perfides. Avec ces gens-là, mieux valait plier comme un roseau.
    — Vous nous avez déjà fait perdre notre temps avec cette histoire de prostituée dont le corps aurait disparu. Pourquoi devrions-nous vous prendre au sérieux cette fois-ci ?
    — Monsieur, j’ai vu les cadavres, les blessures, les deux enfants tués. Cela devrait suffire pour ouvrir une enquête.
    — Vous buvez beaucoup, monsieur Valcourt, ou peut-être, comme beaucoup de coopérants, fumez-vous un peu de chanvre ?
    — J’aime la bière, mais je ne fume que des Marlboro.
    À chaque question, il se demandait pourquoi il perdait son temps à vouloir observer les règles du jeu, tout en risquant de s’attirer des ennuis. Avant de quitter l’hôtel, il avait dit à Gentille qui admirait sa bravoure : « Je ne suis pas brave, mais pas du tout. Je suis même plutôt peureux. Mais je ne parviens pas à agir autrement. Je n’ai même pas l’impression de faire mon devoir. J’agis par réflexe, parce que c’est ainsi qu’on doit faire dans une société civilisée. Je suis un peu comme un enfant qui respecte une sorte de catéchisme. On demande des excuses quand on bouscule quelqu’un par inadvertance, on dit merci et au revoir au marchand, on ouvre la porte aux femmes, on aide les aveugles à traverser la rue, on dit bonjour avant de commander une bière, on se lève dans le métro pour laisser sa place à une vieille dame, on vote même si aucun candidat ne nous plaît et, quand on est témoin d’un crime, on se rend chez les policiers pour que le crime soit éclairci et que, par la suite, justice soit faite. Non, ma chérie, je ne suis pas brave, j’essaie juste de marcher droit, et ici, ce n’est pas facile. »
    — Vous accusez le chef gendarme de complicité dans l’assassinat de deux personnes adultes et de deux enfants, reprit le substitut du procureur. Vous êtes conscient de la gravité de ces accusations, d’autant qu’elles proviennent d’un expatrié qui travaille pour le progrès de l’État rwandais et qui est payé par la République ?
    Oui, bien sûr, il en était parfaitement conscient.
    — Nous avons ici un rapport du même chef gendarme qui déclare qu’il a été attaqué par une bande de rebelles du FPR et que, durant l’accrochage, il a perdu deux patriotes. Un traître hutu guidait ces rebelles qui, vous le savez, ne sont pas des Rwandais, mais des Ougandais qui prétendent être des Tutsis en exil. Ce monsieur, qui vend du tabac au marché, s’appelait Cyprien. Nous parlons de la même personne ? Sa femme a tenté de se porter à la défense de son mari et elle aussi a été tuée durant l’escarmouche. Voilà les faits tels qu’ils nous ont été rapportés. Vous voulez toujours porter plainte et contester la version de tous les patriotes qui tenaient la barrière ?
    — Faudrait choisir, monsieur le substitut. Le gendarme m’a parlé de véhicules non identifiés et à vous il a parlé d’une attaque meurtrière du FPR. Dites-moi, monsieur le substitut, où avez-vous fait vos études de droit ?
    — Au Canada,

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