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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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décrivant la pluviométrie, les prévisions climatiques, l’état des réserves de céréales, l’indice d’humidité du sol, la pénurie de semences et leur mauvaise qualité à cause de la sécheresse qui perdurait depuis un an. Comme tous les autres, Valcourt n’avait pas fait écho à ces cris d’alarme. Ce n’est qu’après avoir vu les premiers enfants rachitiques s’écrouler sur les pistes devant les caméras de la BBC qu’il se rendit en Éthiopie, juste à temps pour filmer le triomphe de la famine.
    Valcourt se sentait porté par un de ces manèges monstrueux qu’on trouve dans les grands parcs d’attractions et qui procurent presque simultanément la terreur et l’extase, la peur de mourir et la sensation de vivre intensément, sans trop savoir comment départager ces sentiments les uns des autres. Dans cette chambre, il y a quelques jours mourait Méthode. Aujourd’hui une petite fille riait en voyant les ombres chinoises que Gentille projetait avec ses doigts sur le mur. Cette nuit, à quelques centaines de mètres, d’autres petites filles perdraient leurs parents dans le sifflement des machettes et le bruit sourd des masus. Tout cela paraissait relié et inévitable, inscrit dans l’ordre de la vie d’ici. Les rires de la petite et la joie déjà maternelle de Gentille lui parlaient de nouveau d’espoir. Il y a une heure, en sortant du bureau du général, il voulait fuir. Maintenant, il écrivait fébrilement dans son carnet. « Le piège… penser que c’est inévitable, que cela tient à la nature de la société ou du pays ou de l’humain… ne pas voir que quelques hommes décident de toutes les violences et que, s’ils ne les planifient pas, ils créent les conditions pour qu’elles rugissent… développer l’exemple du sida, qui est une conséquence de la pauvreté… les femmes répudiées qui sont condamnées à la prostitution occasionnelle pour nourrir leurs enfants parce qu’elles n’ont plus accès à la terre ou à la propriété… il n’y a pas que le comportement sexuel africain qui soit en cause, même si c’est un facteur… écrire l’histoire de ce pays à travers l’histoire de Gentille et de sa famille… décrire la complaisance des institutions internationales devant la corruption... » Gentille lui demanda ce qu’il écrivait.
    — Je recommence à faire mon métier : essayer de dire ce qui se cache derrière les épouvantails, les monstres, les caricatures, les symboles, les drapeaux, les uniformes, les grandes déclarations qui nous endorment avec leurs bonnes intentions. Essayer de nommer les vrais tueurs qui sont assis dans des bureaux du palais présidentiel ou à l’ambassade de France. Ce sont ceux qui dressent des listes et donnent les directives, ceux qui financent les opérations et qui distribuent les armes.
    — On ne peut rien faire ? demanda Gentille, timidement.
    — Oui, mais c’est peu de chose. Rester le plus longtemps possible, observer, dénoncer, témoigner. Conserver la mémoire de Méthode et de Cyprien, laisser des traces, des images, des mots pour ceux qui suivront.
    Il écrirait pour ceux qui voudraient lire, parlerait pour ceux qui prêteraient l’oreille même la plus distraite, mais rien de plus. Il ne cognerait plus aux portes des ambassades et des légations, ne ferait plus de dénonciations auprès de la justice et des pouvoirs établis. Tout cela n’était qu’une agitation stérile qui lui avait donné bonne conscience peut-être mais qui mettait en péril le seul pays qu’il était en mesure de sauver : ses deux femmes.
    On frappa à la porte au moment où Gentille lui disait en souriant :
    — Et tu écriras aussi sur l’amour pour que j’apprenne...
    — Sur l’amour, tu en sais autant que moi.
     
    Ce jeune homme qui transpirait dans son costume bleu, sa chemise empesée, sa cravate en nylon d’une autre époque ne pouvait être qu’un nouveau dans le cirque de Kigali et probablement un Canadien à qui on avait oublié de dire avant de l’envoyer en mission que le Rwanda était un pays chaud. Jean Lamarre s’excusait de le déranger ainsi. Il avait tenté de téléphoner, mais c’était toujours occupé. Il avait besoin de son aide et de façon urgente. Jean Lamarre, qui portait des lunettes d’écaille noire trop lourdes pour sa petite tête – et trop impressionnantes pour son poste d’officier consulaire canadien débutant – et qui semblait déjà sur le point de demander

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