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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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protéines meurtrières envahirent et brouillèrent ses neurones. Seul un « non, Bernard » que Gentille prononça fermement empêcha que Valcourt devienne un assassin. Il lança dans le fossé la machette qu’il avait prise des mains du milicien et qu’il avait brandie au-dessus de sa tête pendant que le jeune homme, les yeux hagards, se réveillait en voyant sa mort briller. En revenant vers l’auto, Valcourt fut horrifié par la pensée que rien dans cet homme ne lui avait paru humain et que, n’eût été Gentille, il l’aurait charcuté sans état d’âme tout comme on avait dépecé Cyprien et Georgina.
    Au poste de gendarmerie à quelques centaines de mètres de la barrière, le gendarme responsable des opérations et chef des miliciens raconta que Cyprien, complètement ivre, s’était écrasé sur la route au moment où passait un véhicule non identifié. Quant à sa femme, après avoir été prévenue de l’accident, elle aussi avait été renversée par un autre véhicule non identifié. Marinant dans la bière de banane qu’il avalait à grandes gorgées et rotant entre chaque phrase, le chef gendarme ajouta qu’ils avaient laissé les cadavres sur la route en attendant que des proches viennent les recueillir pour leur donner un enterrement décent et que, si personne ne se présentait aujourd’hui, il s’en chargerait personnellement parce qu’il était un bon chrétien.
    — Et les enfants ?
    Le chef gendarme continua à mentir avec une assurance et un mépris de la vraisemblance qui rappelaient à Valcourt ses séjours dans les pays communistes. Il ne savait pas où ils étaient, peut-être chez des parents ou des amis.
    Et les blessures de machette sur son crâne, et le ventre dépecé de sa femme, et son sein droit qu’on avait coupé, et le bras de Cyprien dont se régalaient quelques corbeaux, à deux ou trois mètres du tronc ? Toujours les véhicules non identifiés ? Des chauffards qui rentraient d’une noce, dont les véhicules roulaient sur des pneus garnis de machettes ?
    Le chef gendarme continuait à boire, imperturbable. Des maniaques peut-être avaient dépecé les cadavres. Il demanda à Valcourt s’il voulait porter plainte et sortit d’un tiroir un formulaire jauni.
    — Vous étiez à la barrière quand nous sommes passés hier soir. Vous contrôliez les activités et c’est vous qui vérifiiez les identités.
    Il se servit un autre verre de bière et prit un crayon, qu’il tailla lentement avec un couteau de chasse. Il mouilla la mine et commença, souriant béatement, presque hilare :
    — Nom, adresse, profession, nationalité et état civil ? Je vous écoute.
    Valcourt se leva sans ajouter un mot.
    — Au revoir, monsieur Bernard Valcourt, habitant à la chambre 313 du Mille-Collines, journaliste expatrié du Canada, protecteur de la putain tutsie Gentille Sibomana. Au revoir, j’ai bien pris note de votre plainte et je la transmettrai au procureur le plus rapidement possible.
    N’en pouvant plus, le gendarme éclata d’un rire énorme. L’homme s’amusait beaucoup. Il était drôle, ce petit Blanc qui se promenait avec sa putain et parlait de justice et de droit et de toutes ces choses qui empêchaient les Hutus à qui appartenait ce pays de gouverner comme ils l’entendaient ces Tutsis, étrangers venus de la lointaine Éthiopie.
    Sur la porte de la petite maison en terre séchée, on avait tracé en lettres rouges : « Mort aux cafards ». Un enfant pleurait. Sur une natte qui couvrait le sol rougeâtre, les cadavres décapités des deux garçons de Cyprien gisaient dans une immense flaque de sang dont se nourrissaient des centaines de moustiques et d’insectes. La fille avait été épargnée, pratique typique des extrémistes hutus. Quand ils ne tuaient pas les garçons, ils leur coupaient les pieds pour que, plus vieux, ils ne puissent devenir soldats. Les filles, quelques années plus tard, pourraient toujours être violées et donner du plaisir.
     
    À l’orphelinat, qui était tenu par des sœurs belges et parrainé par la femme du président, madame Agathe, on les accueillit froidement. La mère supérieure leur expliqua qu’elle dirigeait un établissement de haute réputation sur lequel comptaient des centaines de futurs parents belges pour adopter des enfants sains de corps et d’esprit. Ces bonnes et charitables personnes investissaient beaucoup d’argent, et leurs exigences, à juste titre, étaient grandes. La

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