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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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par un désastre. Elle avait même été humiliée par la consule de la Tanzanie et une secrétaire de l’ambassade du Kenya. Ce n’était vraiment pas le temps d’évoquer un incident diplomatique ou, pire encore, une remise en question de la longue amitié entre le Canada et le Rwanda. De toute manière, l’enquête avait été confiée aux services spéciaux de la présidence, c’est-à-dire aux services secrets français, des gens compétents qui établiraient sûrement la vérité. Pour le moment, si on demandait au Canada qui avait tué le frère Cardinal, les autorités répondraient : des voleurs ou des rebelles.
    Au téléphone avec un ami de la télévision canadienne, Valcourt expliquait que c’étaient de bien curieux voleurs, puisqu’ils avaient laissé sur le manteau de la cheminée plus de cent cinquante mille francs rwandais, la paye que le frère devait distribuer le lendemain aux membres de la coopérative de producteurs d’œufs qu’il animait. Quant à l’hypothèse des rebelles tutsis, elle était complètement farfelue. Le frère recueillait des réfugiés tutsis qui fuyaient le Nord, la région du président, terrorisés par les massacres dont ils étaient victimes. Non, Cardinal avait été abattu en plein jour par des militaires, parce qu’il menaçait avec sa coopérative le quasi-monopole d’un neveu du président sur le commerce des œufs dans la capitale, ou parce qu’il recueillait des Tutsis, ou les deux. Valcourt savait pourquoi il avait été tué, mais cela ne fait pas un bulletin de nouvelles. Cardinal travaillait pour la dignité des hommes, pour le partage de la richesse du sol, pour la tolérance. Aux yeux de la loi qui gouvernait ce pays, cela constituait trois chefs d’accusation qui méritaient la peine de mort. La télévision canadienne se contenta d’annoncer le décès du religieux en parlant d’un meurtre difficile à expliquer, mais qui avait probablement été commis par des voleurs. Ainsi raconte-t-on la vie, comprimée en capsules, composées par des gens éloignés, ignorants mais sans méchanceté qui, devant leur ordinateur, ne font pas la différence entre un règlement de compte entre motards et un assassinat politique au Rwanda. Un mort est un mort.
    Depuis Gentille, comme on dit pour les ères historiques, Valcourt passait en quelques instants du monde du pire à l’univers de la beauté, sans difficulté aucune comme s’il avait appris à naviguer entre tous les pays de l’homme. Il n’en tirait aucune fierté, seulement le sentiment d’avoir plus de chance que d’autres. Il nota dans son carnet : « Je sors d’une autre horreur. Ce n’est pas la mort qui est horrible, mais la dissimulation que l’on construit autour d’elle, une manière de nier officiellement Cardinal. Cet homme est un héros, son pays en fera une pauvre victime d’une barbarie anonyme. Et j’entre ici. Gentille dort avec la fille de Cyprien. Dans quelques minutes, je m’allongerai à côté d’elle. Elle se réveillera, je le sais. Et nous ferons l’amour, silencieusement pour ne pas réveiller la petite. Et après je dormirai, comme le font tous les hommes heureux. Mais dans mon sommeil je connaîtrai autant de cauchemars que d’extases. » Et pour la deuxième fois de sa vie, cette nuit-là, il fit l’amour avec Gentille.
     
    Le lendemain matin, Lamarre promenait devant le buffet une mine défaite que soulignait une démarche hésitante. Ce n’était pas son état de cocu qui l’écrasait ainsi ; il n’en savait rien encore. Ni sa nouvelle paternité, dont il ne se souciait guère, sinon pour penser qu’elle venait à un bien mauvais moment. Il n’avait jamais voulu devenir père et ne comprenait pas comment, malgré toutes les précautions qu’ils avaient prises, Marie-Ange avait pu devenir enceinte. Une pilule oubliée, sans doute. Les femmes sont si distraites.
    À trente ans, Jean Lamarre, fonctionnaire patient et méthodique, suivait un plan de carrière précis et réaliste, parce que son peu d’ambition correspondait plus ou moins aux capacités du jeune homme de gravir les échelons. Quelques années en Afrique dans un pays qui ne causait pas de problème, comme le Rwanda. Retour à Ottawa comme chef de section. Puis consul dans un petit pays asiatique (il adorait les mets chinois) et enfin conseiller culturel à Paris, ne sachant trop comment choisir entre toutes les invitations aux cocktails, aux lancements, aux vernissages et aux

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