Un Dimanche à La Piscine à Kigali
qu’il les transforme en chair pure et inassouvie, vidée de tout esprit et de toute dignité. Et c’est à ce moment, quand elles réclamaient une seconde humiliation, qu’intervenait la vengeance. Il disait non. Elles avaient beau insister, se présenter dans son cabanon, le relancer dans sa chambrette, lui promettre argent ou visa pour tous les paradis de l’Occident, il refusait. Autour de sa piscine, elles restaient allongées sur leur transat de résine, frustrées, nerveuses, insatisfaites, maussades, parce qu’elles avaient connu durant quelques minutes la puissance d’une sombre force qui, sans jamais cesser de sourire, effectuait respectueusement auprès d’elles son humble travail de garçon de piscine. Si on la comparait à la violence de ce pays, Justin avait la vengeance plutôt douce, mais elle atteignait un raffinement et une cruauté psychologique qui avaient impressionné Valcourt. Il ne manquait jamais une occasion de contribuer à l’effort de guerre de Justin. Le jeune homme lui avait cependant caché la véritable mesure de sa haine. Justin était sidéen. Quand ces dames inquiètes exigeaient qu’il enfile une capote, il brandissait un faux certificat de séronégativité.
Justin la massa, bien sûr, car il était un peu masseur, après l’avoir assise sur un petit tabouret, car dans son état, il n’était pas prudent qu’elle s’allonge sur le ventre sur la table de massage. Il commença par le cou, les épaules et les omoplates sur lesquels il travailla efficacement et consciencieusement, repoussant à chaque mouvement de ses doigts de quelques centimètres les bretelles de la grande robe et de l’ample soutien-gorge qui glissèrent jusqu’à sa taille. Elle se souleva de quelques centimètres et fit tomber ses vêtements sur le sol. L’homme se colla contre son dos et, juste au-dessus de sa nuque, elle sentit un énorme sexe qui pointait dans ses cheveux. Deux grandes mains trituraient ses mamelles si vigoureusement qu’elles se mirent à pisser du lait. Elle voulait parler, mais n’y parvenait pas, sinon pour dire : « Prends-moi » dans un râle animal, qui était aussi fait des douleurs lancinantes qui provenaient de son ventre ruisselant de sueur. Justin la prit sous les aisselles, la souleva et la poussa vers le mur sur lequel elle s’appuya des deux mains et de la tête. D’un seul mouvement sec et violent, il la pénétra par-derrière. Jamais on n’avait touché, effleuré ou caressé cette partie de son corps. Des muscles explosaient, criaient. Son ventre frappait le mur. Plus la douleur ou le plaisir étaient grands, car l’une était l’autre, plus elle répétait à un rythme qui s’accélérait : « Plus loin, plus loin. » Après de longues minutes où elle crut défaillir cent fois, elle hurla comme on ne le fait que devant la mort, ce qui paralysa le jeune homme qui n’avait jamais entendu une telle déchirure. Il l’assit sur le petit tabouret. Des crampes la saisirent, des poignards percèrent son ventre, un filet de liquide visqueux se mit à couler de son sexe et les contractions commencèrent. Marie-Ange accoucha dans le cabanon, avec l’aide d’un médecin de Médecins sans frontières qui chaque jour venait faire ses cent longueurs à la piscine. Il coupa le cordon ombilical avec un canif suisse qu’une grande patronne de la Croix-Rouge avait laissé à Justin en souvenir.
Quand, vers onze heures ce soir-là, Jean Lamarre revint de Mugina avec Valcourt, il était père et cocu, les deux pour le restant de ses jours. Mais, le plus terrible, il n’était pas encore installé dans son premier poste à l’étranger qu’il craignait déjà d’être rappelé à Ottawa et confiné dans les renseignements consulaires ou dans la section Mongolie, avant même d’avoir pu jouir de sa première villa, de son premier jardinier, de sa première cuisinière, ce qui constitue aujourd’hui, à défaut de pouvoir influencer le cours de l’histoire, le principal plaisir du diplomate représentant un pays comme le Canada au Rwanda.
François Cardinal n’avait pas été assassiné par de vulgaires petits voleurs ou par des rebelles tutsis, autre version que lui proposa Lisette, la consule, quand Lamarre passa chez elle avant de rentrer à l’hôtel. Avec Valcourt, il avait tenté de la raisonner, mais elle n’était pas d’humeur à écouter qui que ce soit lui apprendre des faits désagréables. Son tournoi de golf s’était soldé
Weitere Kostenlose Bücher