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Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Un Dimanche à La Piscine à Kigali

Titel: Un Dimanche à La Piscine à Kigali Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gil Courtemanche
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raison, le silence est effrayant, car dans le silence on ne peut mentir.
    Mais Gentille n’entendrait jamais le silence. Paradoxalement, il n’existe que dans la chaleur torride du désert ou dans le froid glacial du Grand Nord. Et Valcourt, malgré ses efforts, ne parvenait pas à imaginer Gentille dans le Sahara ou la toundra. Pourquoi ne pas sortir Gentille de son enfer et la transplanter dans son hiver bien plus confortable que l’été permanent et doux du pays des mille collines ? Il pourrait le faire, aujourd’hui, demain, sans aucune difficulté. Mais exilée, étrangère, démunie, sans métier autre que celui de servir et d’être admirée, elle se transformerait rapidement, sans que ni l’un ni l’autre ne le veuille, en esclave. Sa présence auprès de lui ne serait plus le résultat d’une délicieuse et permanente conquête, mais le fruit d’une dépendance, aussi tolérable et acceptée fut-elle. Ici, dans cette chambre, elle vivait peut-être dans une cage dorée et douillette, mais la porte restait ouverte. Elle connaissait les chemins et les pistes qui entouraient l’hôtel, de même que dix ou vingt refuges qui l’accueilleraient si jamais elle décidait que c’en était assez et qu’il lui fallait retourner aux plaisirs et aux ambitions de son âge. Car elle le ferait. À cela Valcourt s’était résigné depuis le premier tremblement du cœur. Il ne supportait pas la pensée qu’il puisse emprisonner une telle beauté. Interdit de voler la vie à la vie. Quand il avait tenté de lui expliquer qu’il ne l’emmènerait jamais au Canada, Gentille n’avait rien cru de son noble discours. Une autre aurait pleuré, crié, lancé des insultes, tapé du pied et du poing. Pas elle. Ce fut bien pire. Elle avait dit sur le ton propre aux juges et aux bourreaux : « Tu m’as menti ! » Et elle alla se coucher dans l’autre lit. De leur courte vie commune, quatre-vingt-dix-sept nuits, ce fut la seule où Valcourt ne connut pas l’« extase de Gentille ». Car c’est ainsi qu’il décrivait le moment où leurs deux corps s’entremêlaient.

8
    Le lendemain de ce drame conjugal, le seul qu’ils connurent, Valcourt se leva très tôt, avec les brumes et les corbeaux, avant les chiens et les enfants. Assis sur le balcon qui dominait la ville, ébloui par le ficus qui luisait comme si durant la nuit un jardinier magique avait ciré chaque feuille, il écrivit d’une écriture appliquée sur du papier à lettres de l’hôtel : « Gentille, si je rentre au Canada et que tu veuilles venir, je rentrerai avec toi. Mais je ne veux pas revenir dans mon pays. Mon vrai pays est celui des gens que j’aime. Et je t’aime plus que tout au monde. Mon pays, c’est ici. Nous sommes maintenant père et mère. Mais il faut officialiser cette adoption. Ce serait plus facile si nous étions mari et femme. Il faudrait aussi trouver un nom pour notre fille. Je ne sais trop dans quel ordre nous devons faire ces choses. Voilà, je te demande en mariage. Et si jamais il fallait quitter ce pays, ce serait pour un endroit que ni toi ni moi ne connaissons. Nous serions alors aussi perdus l’un que l’autre, aussi démunis et dépendants l’un que l’autre. »
    Sur la pointe des pieds, il traversa la chambre et déposa la feuille pliée en trois sur la hanche de Gentille, qui ne dormait pas. « Attends. » Elle lut puis pleura doucement. Dix ans plus tôt, Valcourt jouait au touriste à Paris avec sa fille de seize ans. Au musée de l’Orangerie, ils regardaient sans trop y croire les Nymphéas de Monet tant ce foisonnement de beauté, de nuances et de subtilité les dépassait, les envoûtait. « Mon Dieu que c’est beau, papa », dit une petite voix étranglée. Anne-Marie pleurait tendrement devant la beauté de la vie. C’est ainsi que Gentille pleurait, comme les femmes le font aussi, au bout de leurs muscles déchirés, de leur ventre douloureux quand on dépose dans leur bras le nouveau-né rougeaud et ridé. Un instant, Valcourt voulut déchirer la feuille déjà froissée, effacer les mots, revenir en arrière, remonter le temps et recommencer et ne pas avoir succombé à la beauté de Gentille. Son bonheur le terrorisait. Il ne pouvait se mesurer à l’envie de vivre de cette jeune femme. Il ne lui promettait – il le savait, il en était maintenant convaincu – qu’un petit espace de bonheur, puis une chute dans un vide horrible puisqu’il regorgerait de souvenirs

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